Revue

Revue

Les rues de demain : l’exemple de Nantes en 2037

Compte-rendu d’événement

Les 1er et 2 décembre 2022 s’est tenue dans les locaux de Futuribles International une nouvelle session de la formation « Futurs de villes. Les villes et leurs acteurs au défi des transitions », animée par Isabelle Baraud-Serfaty, économiste et urbaniste, directrice d’Ibicity. Comme lors de la session précédente, les différentes interventions ont apporté des éclairages thématiques sur quelques-unes des nombreuses facettes de la ville et de la fabrique urbaine aujourd’hui et demain.

Vial Virginie, « Les rues de demain : l’exemple de Nantes en 2037 », formation « Futurs de villes », Futuribles International, 2 décembre 2022.

Les résumés de ces interventions ont été rédigés par Quentin Bisalli et ne visent en aucun cas à reprendre l’intégralité des propos exprimés : il s’agit ici de garder trace de la spécificité de leur approche. Ces résumés n’engagent pas les intervenants, qui ne les ont pas lus avant publication, et les illustrations en exergue ont été, sauf exception, choisies par Futuribles. Cet article porte sur l’intervention de Virginie Vial, directrice générale de la SAMOA (aménageur de l’Île de Nantes) consacrée aux rues de Nantes à l’horizon 2037.

La SAMOA est une société publique locale créée en 2004 qui a la charge de piloter la transformation de l’île de Nantes : ces 337 hectares en plein cœur de l’agglomération font l’objet d’un vaste projet de réaménagement depuis la fermeture des chantiers navals en 1989. La SAMOA intervient d’abord comme aménageur : elle achète du foncier, réalise l’espace public et détermine la programmation du quartier. Le projet est d’ampleur : plus de 600 000 mètres carrés d’équipements et d’activités (dont un centre hospitalier universitaire), 8 000 logements, un grand parc. La SAMOA a également une compétence en développement économique.

Plan Ajoa-Laq d’aménagement de l’Île de Nantes à l’horizon 2037

Source : Virginie Vial, session de formation « Futurs de villes », Futuribles, 2 décembre 2022.

L’aménageur, un prospectiviste qui s’ignore

Virginie Vial a d’abord observé que les aménageurs ne se perçoivent pas comme des prospectivistes. Pourtant, le temps dans lequel ils inscrivent leur action est le temps très long de la ville : sur l’île de Nantes, le traité de concession d’aménagement prend fin en 2037 et cela fait 20 ans que le projet a été engagé, soit une durée de 35 ans. De fait, l’aménageur est un prospectiviste qui s’ignore. Mais le rapport au temps de l’aménageur se pose de manière différente et s’appuie sur trois éléments.

  • Le premier élément est la commande politique : l’aménageur travaille au plus près des élus, et le projet urbain est d’abord la traduction des objectifs politiques — avec, dans le cas nantais, une stabilité politique qui permet une continuité dans la durée : étendre le centre-ville, renouer le contact avec la Loire, et renforcer l’inclusivité de la ville.
  • Le deuxième élément est l’inscription dans l’Histoire : le passé laisse des traces qui permettent de dessiner des permanences et de construire le futur. Par exemple, les tracés des voies sur l’île de Nantes épousent largement les tracés des anciens bras de la Loire (avant d’être une île, l’île de Nantes était un chapelet d’îles).
  • Le troisième point d’appui relève des usages. L’aménageur expérimente, teste des usages, et si ceux-ci apparaissent pérennes, alors il peut leur donner plus de place et les aider à se déployer. La double casquette de la SAMOA lui permet ainsi de mener des expérimentations de plus ou moins grande ampleur : mobilier urbain innovant, réutilisation des locaux de l’ancien Marché d’intérêt national (MIN) pour des usages culturels et créatifs, panneaux photovoltaïques au sol, etc.

Des signaux forts sur les transformations de la ville

Pour aider à se projeter, la SAMOA a lancé quelques démarches de prospective. Le séminaire post-confinement « Ville d’après », entre juin et septembre 2020, a abouti à l’identification de 12 « faits d’accélération » et à la construction de deux scénarios prospectifs. Une deuxième démarche mobilisant davantage le design fiction, « Esquissons l’île de Nantes en 2050 », est en cours.

De fait, les prospectivistes évoquent souvent les signaux faibles qu’il s’agirait de détecter pour penser demain. Mais Virginie Vial observe surtout des signaux très forts. Ces changements majeurs obligent ceux qui fabriquent les villes à réagir très rapidement, même si les effets seront souvent durables. La SAMOA et ses partenaires, comme la Convention citoyenne de la métropole nantaise, observent des tendances et des changements de mentalités et d’attentes très rapides, qui infléchissent les projets d’aménagement, dont voici les principaux points saillants.

Les enjeux environnementaux se traduisent à la fois par des attentes de plus de nature et d’une meilleure cohabitation entre humains et nature, et par de nombreuses initiatives d’agriculture urbaine, malgré un modèle économique encore très fragile. L’enjeu de l’adaptation aux risques climatiques soulève lui aussi de nombreuses questions (îlots de chaleur, gestion de l’eau, climatisation, espaces refuges, risque inondation, etc.). La construction bas-carbone, avec la généralisation du bois et l’utilisation de nouveaux matériaux, laisse quant à elle imaginer un probable changement de conception et d’architecture.

Les changements de mobilité sont aussi flagrants, avec des interrogations sur l’ampleur de la place supplémentaire accordée aux piétons et aux mobilités douces, au détriment de la voiture (quelles voiries, quels stationnements, pour quelles voitures demain ?). Parallèlement, la question des infrastructures de la logistique urbaine devient de plus en plus importante. La création des points intermédiaires (entrepôts de proximité, dark stores…) n’est pas aujourd’hui complètement programmée, et entraîne des conflits d’usage.

Cet enjeu réinterroge aussi le statut des rez-de-chaussée des immeubles, de plus en plus fermés depuis la rue, sur l’île de Nantes (locaux à vélos, entrepôts…), d’autant que les commerçants n’ont pas toujours les moyens de payer les loyers demandés dans les bâtiments neufs (système de péréquation expérimenté à Nantes). De plus, la crise sanitaire a renforcé le désir d’appropriation de l’espace public par les habitants et les usagers. Les collectivités locales y répondent notamment par la fermeture à la circulation de rues : à Nantes, la mesure s’est progressivement étendue, en termes de rues concernées et d’amplitude des plages horaires et saisonnières d’interdiction.

D’autres transformations et enjeux sont aussi relevés par la SAMOA :

  • l’utilisation des données numériques pour l’exploitation de l’espace public ;
  • le modèle métropolitain réinterrogé notamment par les attentes de proximité et le redéveloppement d’espaces abandonnés ou oubliés ;
  • la santé en ville : santé environnementale urbaine, pratiques sportives, effets sur la santé mentale du mode de vie urbain, etc. ;
  • la création d’une ville non genrée ;
  • les inégalités socio-économiques de plus en plus visibles à Nantes, avec un climat d’insécurité grandissant.

Les rues de demain seront les réceptacles de ces changements. L’intervention a peut-être soulevé plus de questions que de réponses, mais il faut aussi noter la forte capacité d’adaptation des villes. Les rues étroites de la ville médiévale, on sait encore les faire fonctionner !

Programme de la formation « Futurs de villes » des 1er et 2 décembre 2022

1er décembre 2022

1. Transition écologique des villes : verdissement des acteurs ou nouveaux acteurs verts ?Florian Dupont

2. Transition des mentalités : un décryptage à travers les modes de consommationFabienne Gomant

3. Transition numérique : les plates-formes numériques auront-elles les clefs des villes ?Dominique Boullier

4. La géographie des villes au service des transitions : l’exemple des vents en milieu urbainMathieu Lucas

2 décembre 2022

5. Les acteurs privés dans les villes de demainMeka Brunel

6. Les rues de Nantes en 2037Virginie Vial

7. Quelles villes mondiales demain ? • Charlotte Ruggeri

#Architecture #Prospective territoriale #Urbanisme #Villes