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La géographie des villes au service des transitions : l’exemple des vents en milieu urbain

Compte-rendu d’événement

Les 1er et 2 décembre 2022 s’est tenue dans les locaux de Futuribles International une nouvelle session de la formation « Futurs de villes. Les villes et leurs acteurs au défi des transitions », animée par Isabelle Baraud-Serfaty, économiste et urbaniste, directrice d’Ibicity. Comme lors de la session précédente, les différentes interventions ont apporté des éclairages thématiques sur quelques-unes des nombreuses facettes de la ville et de la fabrique urbaine aujourd’hui et demain.

Lucas Mathieu, « La géographie des villes au service des transitions : l’exemple des vents en milieu urbain », formation « Futurs de villes », Futuribles International, 1er décembre 2022.

Les résumés de ces interventions ont été rédigés par Quentin Bisalli et ne visent en aucun cas à reprendre l’intégralité des propos exprimés : il s’agit ici de garder trace de la spécificité de leur approche. Ces résumés n’engagent pas les intervenants, qui ne les ont pas lus avant publication, et les illustrations en exergue ont été, sauf exception, choisies par Futuribles. Cet article porte sur l’intervention de Mathieu Lucas (architecte et concepteur paysage, agence SML / Studio Mathieu Lucas), consacrée à la géographie des villes au service des transitions, étudiée à partir de l’exemple des vents en milieu urbain.

Le socle géographique sur lequel s’assoit l’ensemble des activités humaines porte des formes d’invisible parfois ignorées. L’être humain a toujours modifié son environnement pour l’adapter à ses activités (exemple des forêts en amont des vignes pour empêcher le ruissellement de l’eau). Mais à force d’adaptation, les villes contemporaines sont devenues déconnectées de l’écosystème dans lequel elles s’insèrent : elles produisent leurs propres microclimats, changent la rugosité des sols, etc.

Face à l’aggravation des dégradations climatiques, il devient de plus en plus urgent de s’emparer à nouveau pleinement de cette dimension géographique et de ses composantes souvent ignorées. L’une d’entre elles est le vent en ville, thématique dont le studio SML s’est emparé à travers deux projets, à Rome dans le cadre d’une résidence à la Villa Médicis, et à Annecy dans le cadre d’une mission de prospective urbaine pour la ville d’Annecy, sous la houlette de l’AUC (Grand Prix de l’urbanisme 2021).

Rome

Historiquement, la ville de Rome était quotidiennement rafraîchie par le ponentino, une légère brise marine venue de l’ouest, constitutive de l’identité locale (Tour des vents, etc.). Or, aujourd’hui le ponentino n’atteint plus le cœur de ville : bien que certains accusent une barre d’immeubles longue d’un kilomètre de l’avoir arrêté, le problème est plus global, puisqu’il est causé par le dôme de chaleur créé par l’urbanisation de l’espace entre Rome et la mer. En effet, au-delà du cœur historique a été érigée une « couronne étrange de ville moderne détachée », d’après Mathieu Lucas.

Comment, dans tous ces territoires déconnectés, pourrait-on retrouver ce vent ?

© studio SML

Vue aérienne de Rome

Une étude heure par heure des espaces traversés par le vent donne des pistes de réflexion. Le ponentino agit en effet comme une respiration, avec un flux en journée et un reflux en soirée. Or, désormais, le vent ne dépasse qu’à partir de 17 heures le dôme de chaleur et n’est plus suffisant pour refroidir les terres.

Le matin, le vent se lève et s’engouffre le long de l’axe du Tibre — les fleuves sont aussi des passages privilégiés de l’air. Il tente de traverser une forêt côtière, dont le réaménagement pourrait favoriser la circulation de l’air — une forêt sans percée bloque le vent en quelques centaines de mètres. Les coteaux urbanisés, qui ont remplacé le système d’irrigation de l’ancienne agriculture, jouent aussi un rôle : le travail de la topographie fine pourrait, là aussi, favoriser des effets d’accélération du vent.

Puis, en début d’après-midi, le vent peut s’engouffrer dans la via Antigua, grande percée végétalisée qui agit comme un refuge climatique — un rôle à renforcer. Enfin, en milieu d’après-midi, le ponentino atteint les grandes plaines du sud de Rome, ville puzzle fragmentée, au sol rugueux, avant de souffler sur des terres agricoles plus éloignées.

© studio SML

Espaces traversés par le ponentino dans les environs de Rome

Il ne s’agit pas ici de créer ou renforcer artificiellement le vent, mais plutôt de mener une réflexion pour comprendre comment ces différents espaces traversés peuvent, ou pourraient, jouer le rôle de refuge climatique, au sein d’une métropole surchauffée.

Annecy

Le studio SML a proposé le même exercice de relecture à Annecy, dans le cadre d’un dialogue compétitif autour de la réinvention de la ville à l’horizon 2050. À cette date, la ville sera l’une des plus chaudes de France, en raison de la double influence de l’arc alpin et de la plaine en contrebas — les villes alpines font toutes face à un réchauffement bien plus rapide que celles du littoral méditerranéen, déjà habituées aux fortes chaleurs.

Si le lac constitue l’image d’Épinal d’Annecy, la ville prend surtout la forme d’une vaste plaine urbanisée, construite pendant les quatre dernières décennies du XXe siècle avec des bâtiments assez haut (six niveaux au-dessus du rez-de-chaussée en moyenne). Cette urbanisation est très propice à des effets d’îlot de chaleur très importants (voir image ci-dessous).

© studio SML

Îlots de chaleur à Annecy

Entre les cinq coteaux bordant la ville, un système de vents légers favorisés par les brises de pente, de Genève vers Lyon, traverse la ville. Afin de permettre le rafraîchissement, il est possible de jouer sur trois facteurs : l’ombre, l’humidité et la vitesse des vents. Pour cela, il est essentiel de travailler avec les paysages existants, à savoir l’hydrographie, le couvert végétal (notamment les bocages), et les axes traversants permettant au vent (brises de pente et brise de lac) de s’engouffrer dans la ville (voir image ci-dessous). Ces trois facteurs combinés peuvent créer des différences de température allant jusqu’à 3 °C voire 4 °C d’une rue à l’autre.

© studio SML

Hydrographie, végétation et axes traversants à Annecy

Concrètement, plusieurs chantiers sont à mener en concertation avec les habitants :

  • Redessiner un front de lac recréant du lien entre la ville et son lac, en remplaçant les parkings par un couvert arboré.
  • Végétaliser et désimperméabiliser les grands axes, et renforcer la porosité du bâti pour créer de véritables artères vertes.
  • Derrière la ville, créer une grande vallée capable de canaliser les vents.
  • Dans les hauteurs, pérenniser les espaces agricoles, renforcer les voies d’eau et les bocages dans les pentes pour favoriser les brises de pente, etc.

© studio SML

Synthèse visuelle des propositions SML pour Annecy

Ces deux propositions pour Rome et Annecy montrent l’enjeu de pouvoir que pose la cartographie, qui permet d’inventer d’autres narrations, par exemple en allant plus loin que les trames vertes et bleues, qui constituent trop souvent des lectures a minima des écosystèmes. Dans ce cadre, les paysagistes deviennent des interlocuteurs un peu plus présents, à même de mettre en relation les différents acteurs (scientifiques, élus, architectes, etc.) et de permettre un exercice de relecture de tout ce qui a été permanent.

#Climat #Logement #Transition écologique #Villes