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White Sun War: The Campaign for Taiwan

Analyse de livre

En dépit des velléités chinoises d’invasion de Taiwan — communiquées à grand renfort d’exercices militaires et d’intrusions dans l’espace aérien de Taipei par l’APL, l’Armée populaire de libération chinoise, ces dernières années —, la conquête de l’île défie l’imagination par sa complexité, notamment sur le plan logistique. Il suffit pour s’en convaincre de lire cet essai qui s’adresse à tout lecteur, militaire ou non, s’intéressant aux conséquences de l’occurrence d’un tel scénario à l’avenir.

Ryan Mick, White Sun War: The Campaign for Taiwan, Philadelphie : Casemate Publishers, avril 2023, 340 p.

Rédigé par Mick Ryan, général à la retraite de l’armée australienne, fort de 35 ans d’expérience de terrain, l’ouvrage répond à la question : « Et si la Chine envahissait Taiwan ? », en s’attardant non pas sur le « pourquoi » — déjà maintes fois exploré par les experts —, mais sur le « comment » en immergeant le lecteur au plus près des combats, par le biais de personnages fictifs — ou personae — issus des différentes forces en présence. L’auteur offre ainsi, tour à tour, le point de vue du président Zhang Xi, président de la République populaire de Chine récemment arrivé au pouvoir, celui de Dana Lee, capitaine au sein de l’armée américaine, ou encore la vision du colonel Zheng, officier supérieur dans une unité amphibie de l’APL.

L’auteur montre qu’en dépit d’un ordre de bataille désormais très favorable à l’APL — elle bénéficie d’un budget 20 fois supérieur à celui de Taiwan — l’issue du conflit est tout sauf évidente. La première phase de la guerre commence par une offensive éclair contre l’armée taiwanaise et les bases américaines et japonaises. Maximisant leurs chances de succès, les stratèges chinois profitent de l’irruption d’un cyclone destructeur s’abattant sur les États-Unis pour lancer leur offensive et ce, malgré la présence de forces américaines prépositionnées sur l’île à titre dissuasif (tripwire), prenant ainsi au débotté un pays occupé sur plusieurs fronts.

Si l’emploi massif de drones amphibies, « les scarabées » — conçus pour détruire les entraves à l’invasion, comme les mines sous-marines, les obstacles de plage ou encore les bunkers —, permet le déploiement rapide de têtes de pont chinoises sur les plages de débarquement, cette entrée en force est un succès en demi-teinte : d’une part, en raison de la neutralisation imprévue d’une partie de la force amphibie ; d’autre part, parce qu’elle ne constitue qu’une étape, certes essentielle et périlleuse, mais préliminaire, dans un projet de conquête. En effet, rapidement, une insurrection émerge dans les villes du sud de Taiwan, ainsi que dans certaines des zones rurales le long de la colonne vertébrale montagneuse centrale de l’île. Cette situation probablement imaginée à l’aune du cas afghan crédibilise le scénario d’une guerre longue comme un « futur probable » si la Chine passait à l’action.

Autre impondérable, les militaires chinois, dans leur tentative d’implanter un « cordon sanitaire » étanche autour de l’île, échouent à prendre le contrôle des lignes de communication maritime de l’extrémité nord de Taiwan, qui résiste à l’offensive chinoise et peut donc continuer à être ravitaillée. À l’inverse, ces derniers sécurisent la ligne de communication maritime vers l’extrémité sud de Taiwan, ce qui leur permet de maintenir l’élan de leur offensive à cette extrémité de l’île. Dans cette situation d’entre-deux susceptible de basculer à tout moment en faveur d’un belligérant ou l’autre, Mick Ryan souligne l’importance de ce qu’il appelle les « bastions stratégiques », des îles forteresses dans les îles Ishigaki à l’est de Taiwan ou dans le nord de l’Australie sur l’île Manus par exemple, servant de bases de projection de puissance protégées.

À l’instar d’autres récits-fictions simulant une troisième guerre mondiale tels que Ghost Fleet: A Novel of the Next World War [1] ou 2034: A Novel of the Next World War [2], White Sun War réserve de longs développements aux potentielles surprises stratégiques causées par des technologies émergentes, parmi lesquelles figurent : l’usage de missiles hypersoniques, des « intelligences artificielles tactiques » anticipant les actions adverses, des essaims de drones, la pratique du « binder jetting [3] » ou encore l’emploi d’impulsions électromagnétiques non nucléaires, armes de choix pour neutraliser les systèmes électroniques adverses. Si ces ruptures engendrent des effets notables sur le terrain, l’auteur rappelle, à juste titre, que la guerre reste gouvernée par des règles intemporelles liées aux organisations humaines, à leur capacité d’adaptation et à leurs doctrines, d’une part, ainsi qu’aux déterminismes géographiques tels que la présence de reliefs, la distance des nœuds logistiques du théâtre des opérations, d’autre part.

  1. Singer P.W. et Cole August, Ghost Fleet: A Novel of the Next World War, Boston : Houghton Mifflin Harcourt, 2015.

  2. Ackerman Elliot et Stavridis James G., 2034: A Novel of the Next World War, New York : Penguin Press, 2021.

  3. C’est-à-dire l’emploi de procédés de fabrication additive par liage de poudre donnant une capacité de régénération hors normes à Taiwan.

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