La guerre en Ukraine a, parmi d’autres enseignements, révélé au monde une prise de distance des pays émergents à l’égard de l’Occident. En effet, si 141 pays ont voté la résolution condamnant l’agression russe, 35 pays dits du Sud se sont abstenus, représentant 50 % de la population mondiale. Quant aux sanctions contre la Russie, seuls les pays Occidentaux les appliquent.
Billion Didier et Ventura Christophe (sous la direction de), « Vers une désoccidentalisation du monde ? », La Revue internationale et stratégique, n° 130, été 2023, 124 p. (IRIS, Institut de relations internationales et stratégiques).

La fracture entre « the West and the Rest [1] » se serait-elle amplifiée, dans un processus plus long de « désoccidentalisation du monde » ? Plus généralement, la notion de « désoccidentalisation » est-elle pertinente pour penser les relations internationales aujourd’hui ? Faut-il lui préférer celle de « multi-alignement » ou de « non-alignement », appliquées respectivement à l’Inde et aux pays d’Amérique latine pour décrire leur stratégie de politique étrangère ?
Ces questions, Didier Billion et Christophe Ventura les ont posées à des autrices et auteurs issus de différentes régions et disciplines, afin d’en faire le thème d’un dossier spécial dans la Revue internationale et stratégique. Leurs réflexions, construites et argumentées, convergent vers une analyse plus nuancée et moins doctrinaire que le terme de désoccidentalisation ne le suggère : désormais, les puissances occidentales doivent compter avec de nouveaux acteurs qui, conscients de leur poids économique et démographique, cherchent à s’émanciper des pressions diplomatiques, économiques et militaires, pour poursuivre leurs intérêts propres et répondre aux enjeux de leur politique intérieure.
Désoccidentalisation : un terme à questionner
Le terme même de « désoccidentalisation » mérite d’être questionné. Selon Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, ce terme renvoie, en miroir, à celui d’orientalisme, suggérant l’existence de deux blocs cimentés chacun par une même culture. De même, le concept de « Sud global », sans être totalement vide de sens, suggère une unité entre ces pays qui, du point de vue de l’auteur, n’apparaît qu’en situation de tension.
Intervenant sur la position des pays africains à l’égard de l’Occident, El Hadj Souleymane Gassama, journaliste et docteur en sociologie, partage cette analyse : parler de désoccidentalisation revient à faire de l’Occident l’unité de mesure des évolutions en cours. Or, outre qu’il gomme la fragmentation du continent africain, ce terme annule la prégnance de valeurs « labellisées occidentales », du fait des échanges migratoires et de l’adoption de systèmes politiques ou modèles de développement copiés sur ceux des démocraties occidentales. Selon l’auteur, les interconnexions entre les pays africains et ceux de « l’Ouest » sont si nombreuses qu’une rupture franche à leur égard est difficilement envisageable.
Selon Chloé Ridel, haut-fonctionnaire et porte-parole du Parti socialiste, le terme « d’Occident collectif » est volontairement dévoyé par Vladimir Poutine, qui l’agite « comme un épouvantail » dans sa bataille de l’opinion mondiale. Ce faisant, il attise le ressentiment des pays du Sud, mais surtout relègue l’Union européenne dans une position subalterne, pour mieux «&nb...