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Question d'Europe

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 263, avril 2001

Dans le prolongement du numéro de décembre 2000 de la revue Futuribles  » Peut-on sauver l’Europe ? » et du forum dans lequel Michel Drancourt et Jean-Jacques Salomon lançaient un appel en faveur du réveil de l’Europe, nous publions ce mois-ci trois nouveaux points de vue sur la construction européenne.
Michel Drancourt ouvre le feu. Qu’est-il advenu du grand projet européen des « pères fondateurs », écrit-il ? Il ne reste plus qu’une « Europe ersatz » cantonnée aux domaines commercial, économique et monétaire, cette dernière dimension étant peut-être la seule qui comporte une dimension politique. Une Europe sans passion et sans âme, qui existe toutefois, mais au rabais, et dont les dirigeants n’ont plus de vision ni d’ambition communes. Une Europe fragile donc, qui pourrait bien s’effondrer le jour où elle sera confrontée à une crise majeure…
Mais, répond André Lebeau, l’époque durant laquelle le projet européen était porté par de grands chefs d’État visionnaires est révolue. L’Europe est née dans la souffrance qui sécrète des héros ; l’Europe apaisée d’aujourd’hui ne sécrète que des leaders médiocres. Et au processus top-down des premiers temps a succédé un processus bottom-up de construction européenne par le bas. « L’Europe se fait par un mouvement qui travaille en profondeur de grandes communautés et les solidarise. » Donc, elle avance, non sans rencontrer des obstacles parmi lesquels figurent les jeux de pouvoir d’acteurs enkystés dans leur structure nationale. Faut-il pour autant regretter le rêve d’une Europe impériale, à l’image de la superpuissance américaine ? Ce n’est pas certain, affirme encore André Lebeau ; l’Europe, à petits pas, avance…
Non, répond à son tour André-Yves Portnoff : l’Europe par en bas n’avance pas – ou n’est qu’une « Europe des nains » – parce que nous manquons d’innovateurs audacieux, d’un climat propice à cette innovation, et que nous ne savons pas mailler les compétences, créer les synergies nécessaires.
S’attachant particulièrement au problème de la recherche et du développement, André-Yves Portnoff écrit qu’il ne s’agit pas tant d’une question de moyens, y compris financiers, que d’une question de culture et de problèmes liés aux superstructures qui étouffent l’esprit d’entreprise, font obstacle à l’éclosion des initiatives, mettent en échec la constitution des réseaux qui doivent désormais remplacer les dinosaures.
Il s’en prend particulièrement à la société française en disant que les domaines d’excellence de ce pays sont tous le produit d’une volonté d’État servie avec talent par les grands corps (le nucléaire, le TGV, Airbus, Ariane…), mais que l’ère des grands marchés publics est révolue et que les marchés porteurs du futur sont ceux qui s’adressent au grand public. Or, l’Europe et la France, qui ne manquent ni d’idées ni de moyens, demeurent hostiles aux changements, crispées sur des schémas démodés. Elles tétanisent les acteurs, paralysent la constitution des réseaux d’autant plus efficaces aujourd’hui que les grandes organisations bureaucratiques d’hier sont dépassées.
Nous changeons d’ère. Mais l’Europe n’en a point encore tiré les leçons. Si elle n’est pas en panne d’idées, les initiatives sont étouffées, les partenariats inexistants, la société figée.

#Europe