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Pass sanitaire : piège ou sésame contre la crise Covid ?

Le 17 mars 2021, l’Union européenne (UE) déclare souhaiter mettre en place un passeport numérique sanitaire, ensuite renommé « certificat vert numérique », qui pourrait conditionner les déplacements des citoyens au sein de l’UE à partir de juin 2021. Ce certificat permettrait d’attester soit de la vaccination du sujet, soit d’un test PCR récent ou encore d’une preuve d’immunité (analyse sérologique) suite à une rémission de la Covid-19.

Un jour plus tard, le 18 mars 2021, la France lance, sans plus attendre, une expérimentation de ce pass sanitaire, disponible via l’application de contact tracing TousAntiCovid, dans le cadre de vols vers les Outre-mer et la Corse [1].

Ces dispositifs sont régulièrement présentés à la population comme la seule manière de s’extraire d’un apparent casse-tête : comment limiter la propagation de l’épidémie tout en maintenant la libre circulation des personnes entre et au sein des États ? Mais dans les faits, sont-ils réellement la meilleure solution à mettre en œuvre ? Il est permis d’en douter, quand même un comité d’experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’y oppose.

Passeport, pass, certificat sanitaire… Fin de la liberté de circulation, pour combien de temps ?

Que l’on ne s’y trompe pas, le pass sanitaire que propose le gouvernement français n’est ni plus ni moins qu’un passeport imposé au sein même des frontières du pays. Ces deux mots sont formés sur la même racine. Ils renvoient tous deux à une « pièce », ou « laissez-passer », « délivrée par les autorités » ; « habilitant une personne à entrer, à sortir, à circuler librement dans une enceinte ou sur un territoire ». De même, le « certificat vert » européen n’est rien de moins qu’un euphémisme pour adoucir la même réalité : « une pièce délivrée attestant de la réalité d’un fait ». Délivrée par qui ? Par les autorités nationales, chargées de la santé en ligne, qui assurent l’authenticité du document via un système de QR code. Pour attester quel fait ? Que l’on est immunisé, testé ou, mieux, vacciné.

Si l’Union privilégie ce terme à celui de passeport, c’est pour en souligner la dimension temporaire et non obligatoire [2], deux caractéristiques dont il est permis de douter si ce dispositif tendait à se généraliser. Car toute mesure contraignante dite temporaire visant à lutter contre une menace imminente a souvent tendance à se pérenniser, si ce n’est à s’étendre. Les crises sanitaires n’y échappent pas. Le 21 décembre 2020, Jean Castex dépose un projet de loi pour instituer « un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires » à l’Assemblée. Il est, pour le moment, débouté [3]. Or le pass, passeport ou certificat sanitaire est avant tout une restriction majeure à l’une des libertés fondamentales, celle d’aller et venir des citoyens, entérinée par la Charte européenne des droits fondamentaux de l’Union européenne, le 12 décembre 2007. Il n’est pas – malgré l’audacieux renversement de paradigme opéré par la Commission européenne – la condition permettant de « rétablir » cette liberté, en réponse aux restrictions de circulation imposées unilatéralement par les États européens, entre eux et au sein de leur territoire, depuis le début de la crise sanitaire.

Évidemment, pour le moment, ce document numérique est entouré de circonvolutions juridiques et de précautions discursives. Il ne serait que temporaire, il ne s’appliquerait pas à tous les secteurs, il ne serait pas obligatoire. Mais la propension des autorités, françaises en particulier, à faire glisser l’exceptionnel dans le régime de la normalité juridique doit nous alerter. Insistons sur la supposée exceptionnalité de l’état d’urgence sanitaire, qui restreint, cette fois sans se masquer, une large partie de nos libertés, qui dure depuis plus d’un an et dont les contours d’abrogation restent flous [4]. Un état « exceptionnel » qui a placé un bien (la santé) au-dessus d’une valeur (la liberté), nous plongeant dans une anomie collective hors de laquelle seul un QR code pourrait, peut-être, nous tirer.

Un sésame indispensable : pour qui et pour quels trésors ?

Autre terme souvent utilisé pour nous vendre le passeport (pass, certificat…) celui de « sésame » réfère d’abord dans l’inconscient collectif à une formule magique qui ouvre la caverne aux trésors. Passons sur la dimension très « techno-solutionniste » que l’usage de ce terme recouvre, pour nous intéresser à ses implications concrètes dans le réel.

D’abord, le pass sanitaire est-il si miraculeux ? De l’avis même de ses promoteurs, il ne suffirait pas à endiguer l’épidémie puisque ni les tests PCR, ni les sérologies attestant de la rémission du sujet, ni les vaccins ne promettent à ce jour une immunité à long terme. Par ailleurs, les vaccins ne garantissent pas encore une suppression de la contagiosité individuelle [5]. Pourquoi alors se fatiguer à mettre en place un tel dispositif, lourd en architecture technique pour homogénéiser les certificats et contrôles entre États, et restreignant une des libertés fondamentales des citoyens européens, si l’on ne peut garantir son efficacité ? S’agit-il d’une énième expérimentation à même le corps social au détriment des individus ?

Ensuite, à quoi ce fameux sésame nous permettrait-il d’accéder ? De manière générale, à une vie d’avant la crise, dont nous sommes privés depuis plus d’un an. Mais attention, cette fois il ne s’agit plus de se signer des auto-attestations de déplacement, simples documents déclaratifs, mais d’une injonction à prouver que nous sommes sains [6]. Sommes-nous prêts à accepter de laisser nos corps être scrutés et validés pour retrouver le plaisir de se rendre à un concert ?

Ce sésame nous promet aussi le retour des voyages touristiques et d’affaires, des restaurants, des bars, des festivals…, services ou biens auxquels n’avaient déjà accès que les plus aisés d’entre nous. S’il fallait une barrière de plus pour que les plus démunis ne puissent pas voyager, la voilà toute trouvée. À titre d’exemple, la part des populations ayant reçu au moins une dose dans les pays membres de l’UE varie de 1 à 5, les gouvernements n’ayant pas tous les mêmes moyens pour se procurer les vaccins en nombre suffisant. De même, le test PCR est gratuit en France, mais ce n’est pas le cas partout en Europe. Il peut coûter jusqu’à 300 euros en Suède lorsqu’il est réalisé « par confort » – comprendre, pour voyager. Le certificat vert numérique discriminerait alors fortement les citoyens des pays les plus en retard ou ne disposant pas d’une sécurité sociale nationale, ou ceux qui refuseraient de se faire vacciner.Ainsi, face à l’argument selon lequel ce type de dispositif existe déjà (contre la fièvre jaune), nous pouvons répondre que jamais il n’a concerné de manière aussi massive plusieurs millions d’individus.

Le « sésame » que l’on veut nous imposer n’est qu’un pas de plus vers une société technocratique et inégalitaire. Il n’ouvrira les portes post-Covid qu’à celles et ceux qui disposaient déjà des clefs pour le faire. Les autres les verront seulement se doubler de nouveaux verrous [7].



[1] Le gouvernement français s’était déclaré réticent à ce passeport sanitaire avant de retourner sa veste rapidement, comme sur le sujet du contact tracing. Si bien qu’aujourd’hui, le pass concerne tout le monde, même les enfants, mais reste « volontaire ». Est-ce antithétique ?

[2] Le certificat devra être suspendu dès que l’OMS proclamera la fin de la pandémie. Pourtant, l’Union européenne envisageait la création d’un tel dispositif dès 2019.

[3] Mais il y a de multiples autres exemples. Le plan « temporaire » Vigipirate mis en place après les attentats de 1995 en France est toujours actif.

[4] Pour rappel : l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national a été déclaré par décret à compter du 17 octobre 2020. La loi du 14 novembre 2020 a prolongé, une première fois, l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021. La loi du 15 février 2021 prolonge l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin 2021. Cet état d’exception, dont la date de fin pourrait à nouveau être repoussée, instaure un contrôle du gouvernement par le Parlement encore plus faible que celui prévu dans le cadre de la loi de 1955 relative à l’état d’urgence de type sécuritaire, et même moindre que l’article 16 de la Constitution qui donne les pleins pouvoirs au chef de l’État. Source : Public Sénat.

[5] L’OMS avait alerté par deux fois les États sur le fait que le passeport vaccinal ne peut en aucun cas être considéré comme un passeport immunitaire au regard des connaissances scientifiques actuelles.

[7] Pour l’anecdote historique, sous Napoléon, les ouvriers devaient encore présenter un livret pour se déplacer en France.

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