Après une pause, et alors que certains envisageaient déjà un « pic automobile » durable [1], l’usage de l’automobile recommence à progresser en France. Entre le début des années 2000 et le milieu des années 2010, le nombre de kilomètres parcourus a stagné autour de 700 milliards par an, en rupture très nette avec la tendance précédente (voir graphique). Depuis 2013, le chiffre a augmenté de 43 milliards de kilomètres (+ 6 %). Depuis 2002, la part de ménages équipés plafonnait autour de 82 %, elle a légèrement augmenté à 83 % en 2016. En même temps, le nombre moyen de kilomètres annuels par véhicule a de nouveau augmenté, de 12 700 à 13 300 entre 2013 et 2016. Enfin, en 2016 le parc de voitures particulières a connu sa plus forte progression (+ 270 000 véhicules) des 10 dernières années.
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Distance parcourue en automobile par an en France (en milliards de kilomètres)

Source : ministère français des Transports. © Centre d’observation de la société.
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Évolution du parc automobile français de voitures particulières (en milliers)

Source : INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques). © Centre d’observation de la société.
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Distance moyenne parcourue par voiture et par an en France (en kilomètres)

Source : INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques). © Centre d’observation de la société.
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La voiture reste le mode de déplacement par excellence. Elle représente 79 % des 1 000 milliards de kilomètres parcourus chaque année avec un véhicule motorisé. Son essor date de la Seconde Guerre mondiale : tous types confondus, on comptait 1,7 million de véhicules en circulation en 1946 ; 30 ans plus tard, ils étaient 10 fois plus nombreux. L’automobile a transformé la société, apportant une liberté de déplacement sans équivalent, élargissant l’horizon du marché du travail, des sorties, des vacances et de la sociabilité. L’accès à l’automobile est devenu un élément essentiel de l’autonomie. Il y a un revers à cette médaille : l’automobile coûte très cher (plus de 4 000 euros par an en moyenne selon l’INSEE) à celui qui la possède, ainsi qu’à la société du fait de l’ampleur de la pollution, des nuisances sonores, des accidents, etc. Dans les conditions actuelles de rejets polluants dans l’atmosphère, le niveau d’équipement des ménages des pays riches appliqué à l’ensemble de la planète n’est pas écologiquement supportable.
Les évolutions actuelles sont le fruit de différents facteurs qui agissent en sens contraire. Dans l’hypercentre des grandes villes, le renchérissement du stationnement rend la voiture de plus en plus onéreuse, notamment pour les jeunes. Les réseaux de tramways se développent [2]. Sur plus longue distance, l’essor du covoiturage et du transport par autocar joue aussi. À l’inverse, le développement de l’habitat périurbain, qui impose souvent l’équipement d’une deuxième, voire d’une troisième voiture par ménage, progresse toujours même si c’est moins rapidement qu’auparavant [3]. La baisse du prix des carburants jusqu’en 2016 et la reprise de la croissance, même lente, ont assuré le rebond récent de l’usage de l’automobile, mode de transport préféré, de loin, de la population. Comme le note Richard Grimal, la stabilisation de l’usage de la voiture dans les années 2000 s’explique essentiellement par des facteurs économiques et notamment le renchérissement du coût du carburant : la reprise du trafic depuis 2012 correspond à une baisse du prix des produits pétroliers [4].
Quelle importance peut prendre l’automobile dans notre société demain ? Aux États-Unis, on compte 8 véhicules pour 10 habitants, contre 5,3 en France : il reste donc de la marge potentielle en matière d’équipement dans l’Hexagone. La voiture a encore de très beaux jours devant elle.
La part de personnes équipées varie du simple au double en fonction des niveaux de vie. De nombreux ménages des classes populaires n’ont pas les moyens d’accéder à ce moyen de locomotion auquel ils aspirent pour leurs déplacements [5], qu’il s’agisse de loisirs ou de travail. Même chose chez les jeunes : « Si la jeunesse retarde l’accès au permis et l’achat d’une voiture, ce n’est pas que le besoin ou l’envie d’automobile aient disparu, mais simplement qu’elle attend sur le bord de la route des conditions plus favorables », analyse le sociologue Yoann Demoli [6]. À l’âge adulte, seule une poignée parmi les plus favorisés – souvent des célibataires citadins – se prive volontairement de l’automobile : 90 % des cadres et 93 % des professions intermédiaires possèdent au moins une voiture (données INSEE 2014). La critique de ce mode de transport reste l’apanage des populations les plus mobiles.
À l’avenir, beaucoup dépendra de l’urbanisme : de la localisation et du type de logements, de l’implantation des commerces ainsi que de l’accent mis en matière d’infrastructures routières ou de transports en commun. Il faudra à la fois prendre en compte les nuisances énormes liées à l’automobile, et sa nécessité pour une partie de la population qui n’y accède pas. Les nouveaux modes de déplacement individuel, comme la voiture électrique, sont encore loin d’être accessibles aux ménages les moins fortunés, mais leur production à très large échelle devrait réduire leur prix. C’est moins la voiture en elle-même qui sera remise en cause que le type de véhicule qui évoluera.
Les sociétés sont face à un dilemme. La responsabilité vis-à-vis des générations futures impose de réduire l’usage des véhicules les plus polluants, notamment en utilisant la fiscalité pour dissuader les ménages de les utiliser. Ce faisant, nous risquons de grever lourdement les niveaux de vie des catégories les moins favorisées, éloignées des lieux d’emploi et de services, qui se sentent piégées faute d’alternative pour se déplacer. Déjà, l’annonce faite de « la fin du diesel » inquiète les Français.
Il n’est pas simple de trancher entre les inégalités environnementales entre générations et les inégalités de mobilité entre milieux sociaux, sauf à offrir des modes de déplacement à la fois plus écologiques et économiques. En investissant massivement dans les transports en commun et dans des formes de motorisation propres.
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Source : statistiques mobilité-déplacements du CGDD. URL : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/transports/s/transport-voyageurs-deplacements.html. Cette note est issue d’un partenariat avec le Centre d’observation de la société (http://www.observationsociete.fr/).
[1] Voir « The Future of Driving: Seeing the Back of the Car », The Economist, 22 septembre 2012. URL : http://www.economist.com/node/21563280. Consulté le 6 décembre 2017.
[2] Malheureusement on ne dispose pas de données détaillées pour mesurer l’évolution de ce phénomène. Les dernières données qui permettent de distinguer les mobilités par distance et localisation des ménages datent de 2008. Voir « La mobilité des Français. Panorama issu de l’enquête nationale transports et déplacements 2008 », La Revue du CGDD (Commissariat général au développement durable), décembre 2010. URL : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/La_revue_du_CGDD/2010/La_mobilite_des_Francais_ENTD_2008_revue_cle7b7471.pdf. Consulté le 6 décembre 2017.
[3] « L’habitat périurbain poursuit son essor », Centre d’observation de la société, 8 juin 2017. URL : http://www.observationsociete.fr/population/donneesgeneralespopulation/levolution-de-la-periurbanisation-en-france.html. Consulté le 6 décembre 2017.
[4] Grimal Richard, « Plafonnement de la circulation automobile : les prémisses d’un déclin », Forum vies mobiles, septembre 2017. URL : http://fr.forumviesmobiles.org/mobilithese/2017/09/28/plafonnement-circulation-automobile-premisses-dun-declin-3694. Consulté le 6 décembre 2017.
[5] Voir Désaunay Cécile « La France compte 6 à 8 millions de précaires de la mobilité », Note de veille, 26 novembre 2014, Futuribles International. URL : https://www.futuribles.com/fr/article/la-france-compte-6-a-8-millions-de-precaires-de-la/. Consulté le 6 décembre 2017.
[6] Demoli Yoann, « Les jeunes et la voiture, un désir contrarié ? », Métropolitiques, 9 octobre 2017. URL : http://www.metropolitiques.eu/Les-jeunes-et-la-voiture-un-desir-contrarie.html. Consulté le 6 décembre 2017.