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L’Espagne, une transition électrique décousue

Cet article est issu d’une tribune, parue en septembre 2017, qui présente la situation de la transition électrique dans quatre pays : l’Allemagne, Espagne, la France et le Japon.

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L’Espagne fait partie des pays de l’Union européenne qui ont connu les plus grosses progressions d’énergies renouvelables dans leur mix électrique sur les 10 dernières années. Si ce ne sont pas des taux d’intégration aussi élevés que certains pays du nord de l’Europe, le cas espagnol est intéressant à observer car cela reste un marché conséquent (de l’ordre de 260 térawattheures [TWh] électriques par an, sur une consommation totale d’énergie de 1 300 TWh), qui fonctionne techniquement en situation de quasi-péninsule (donc peu d’interconnexions) et avec une diversité de technologies de production. L’interconnexion existant avec la France, bien que renforcée en 2015 avec un doublement de 1,4 gigawatt (GW) à 2,8 GW, reste limitée et permet de s’appuyer sur des échanges transfrontaliers seulement de manière marginale, à l’opposé de pays en situation continentale comme la France ou l’Allemagne par exemple.

En 1997, un premier objectif de 12 % d’énergie primaire consommée provenant de sources renouvelables fut fixé. Depuis décembre 2008, l’Espagne s’est engagée à contribuer à l’objectif de l’Union européenne des 20 % d’énergie consommée finale d’origine renouvelable. Aujourd’hui, ce sont toujours ces engagements qui font office de ligne directrice, et sans déclinaison sectorielle (transport, habitat…) plus précise.

Plus de 40 % de renouvelables aujourd’hui

Sur l’année complète 2016, près de 41 % de l’électricité produite l’ont été à partir de sources renouvelables. La rapide augmentation des renouvelables est remarquable car c’est seulement en une demi-douzaine d’années que leur part a doublé, passant de 20 % à plus de 40 % ; principalement avec les deux filières que sont l’éolien, autour de 20 %, et l’hydraulique, 15 %.

Structure de production du système électrique espagnol en 2016

Source : Red Eléctrica de España. URL : http://www.ree.es/en/balance-diario/peninsula/2016/12/31/d. Consulté le 28 août 2017.

En termes d’émission de gaz à effet de serre, la performance CO2 du système électrique est passée de 388 grammes par kilowattheure (g/kWh) en 2007 à 242 g/kWh en 2016, soit près de 40 % de baisse en 10 ans (contre 520 g/kWh pour le monde, et 330 g/kWh pour l’Union européenne). Il faudra évidemment aller plus loin et décarboner quasiment en intégralité le système électrique, mais il reste des optimisations possibles avec le charbon et le pétrole toujours bien présents. Cela offre donc des marges de manœuvre importantes, dans les années qui viennent, pour une grande partie des systèmes électriques existant dans le monde.

Le nucléaire, un entre-deux incertain

Après Fukushima, le gouvernement espagnol avait annoncé la sortie progressive du nucléaire. La décision de l’arrêt de Garoña, la plus vieille centrale du pays, avait été prise par le gouvernement socialiste de l’époque, ne prolongeant pas la durée de vie des centrales au-delà des 40 ans prévus initialement. Le Conseil de sécurité nucléaire, début 2017, est revenu sur cette décision en ouvrant la porte à des prolongements de fonctionnement de 10 à 20 ans modulo 150 à 200 millions d’euros d’investissements. Ce que l’exploitant semblait peu enclin à vouloir réaliser, avant que la décision de fermeture définitive soit annoncée en août 2017 par Álvaro Nadal, ministre de l’Énergie. La plus grosse centrale du pays, située à Almaraz, près de la frontière avec le Portugal, vient pour sa part de se voir autorisée à produire au-delà des 40 années initialement prévues.

Le nucléaire apparaît dans une situation assez ambiguë entre les pouvoirs politiques actuels, plutôt favorables à sa poursuite, et des industriels ayant des avis assez contrastés sur l’intérêt économique de ces prolongations. En tout cas, il n’y a pas de nouveaux projets à l’ordre du jour aujourd’hui mais seulement une volonté d’amener les centrales existantes au-delà de 2030 dans une optimisation de l’existant.

Le stockage pas oublié

Enfin, corollaire du développement d’énergies renouvelables intermittentes, comme l’éolien, les capacités de stockage sont une question centrale dans le contexte ibérique. Ainsi, entre 2010 et 2013, ce sont 3 GW de capacités de stockage (pompage hydraulique) qui ont été ajoutées au système espagnol.

Ainsi, la récente station de transfert d’énergie par pompage (STEP) « La Muela II », inaugurée en 2013, permet au total d’obtenir une puissance de 2 GW, devenant le centre de production hydroélectrique par pompage-turbinage le plus grand d’Europe. En valeur absolue, l’Espagne dispose désormais d’une capacité de stockage supérieure à celle de la France, pour une consommation deux fois moindre.

Plus marginales en puissance, mais préfigurant peut-être une des solutions techniques de demain, des capacités de stockage thermique ont été déployées à partir du solaire à concentration. Avec une centrale de 50 MW installée en Andalousie en 2008 [1], Andasol constituait la première en Europe à utiliser des capteurs cylindro-paraboliques. D’une technologie différente, mais toujours sur le même principe de solaire à concentration, la centrale Gemasolar [2] de 20 MW est la première centrale à échelle commerciale du monde appliquant la technologie de tour solaire centrale et de stockage thermique basé sur des sels fondus.


© IrinaK / Shutterstock

Au total, l’Espagne est en tête au sein de l’Union européenne et quatrième dans le monde concernant la capacité de stockage d’énergie en 2015, notamment grâce à l’hydroélectricité (6,9 GW) et au thermosolaire (1 GW).

Un cadre de soutien économique chaotique

Sur le plan économique, la situation très compliquée en 2012 explique le coup de frein brutal en matière de renouvelables. Suite à un emballement entre 2005 et 2013 (+ 200 %), la dette, liée notamment au soutien aux renouvelables, avait atteint plus de 20 milliards d’euros, nécessitant un arrêt des soutiens et des mesures d’urgence. Le rapport réalisé par l’AIE [3] en 2015 fait le constat du retour à une situation quasiment épurée concernant la dette liée aux énergies renouvelables (ENR), à un horizon de 15 ans, grâce à la réforme globale du marché de l’électricité de 2013.

Il n’en reste pas moins que le prix de l’électricité pour les ménages est passé de 14 centimes d’euro le kWh en 2006 à 23 centimes (toutes taxes comprises) le kWh 10 ans plus tard (+ 40 %), à mettre en perspective toutefois avec le passage de 12 à 17 centimes TTC le kWh pour la France, par exemple, sur la même période [4] (+ 30 %).

Pour l’avenir, après trois années d’arrêt, les deux appels d’offres de 3 GW lancés en 2017 pourraient préfigurer une manière plus maîtrisée de soutenir les ENR désormais, avec une mise en concurrence des projets. Ainsi, le premier appel d’offres a abouti à une sélection unique de projets éoliens à 43 euros le MWh : le niveau le plus bas jamais proposé dans les appels d’offres européens d’énergie éolienne terrestre – avant qu’un nouvel appel d’offres de 3 GW, finalement porté à 5 GW, soit lancé dans la foulée durant l’été 2017.

Sur un plan économique, la politique énergétique espagnole s’approche plus sûrement du contre-exemple de stop-and-go que d’une mise en œuvre bien gérée d’une transition énergétique. En termes techniques en revanche, constater que des systèmes électriques assez conventionnels sont capables d’intégrer rapidement des taux très significatifs d’énergies renouvelables intermittentes est intéressant. La question du stockage à grande échelle, clef de voûte d’un système électrique massivement renouvelable, sera essentielle pour aller plus loin. Et l’Espagne a entrepris des choses intéressantes, développant à la fois des technologies éprouvées, comme les STEP- stockage hydraulique -, et investiguant des technologies de rupture, comme le solaire à concentration (CSP), pour les années à venir. Quant à la filière nucléaire, son avenir est encore empreint d’incertitudes.

Cependant, comme par le passé avec les hésitations et dérapages décrits précédemment, une ambition et une stratégie, déclinées en feuille de route précise pour les différents horizons 2030 et 2050, manquent toujours pour permettre aux différents acteurs du secteur de se positionner dans ce long processus [5].

 


[1] Filippi Laurent, « Espagne: Andasol, la plus grande centrale solaire d’Europe », FranceInfo / Géopolis, 21 octobre 2015. URL : http://geopolis.francetvinfo.fr/espagne-andasol-la-plus-grande-centrale-solaire-deurope-84167. Consulté le 18 août 2017.

[2] « Gemasolar », page de présentation sur Torresol Energy. URL : http://www.torresolenergy.com/TORRESOL/gemasolar.html?swlang=es

[3] AIE (Agence internationale de l’énergie), Energy Policies of IEA Countries: Spain. 2015 Review, Paris : OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) / AIE, 2015. URL : http://www.iea.org/publications/freepublications/publication/IDR_Spain2015.pdf. Consulté le 18 août 2017.

[4] Voir les données Eurostat : « Electricity Prices for Household Consumers, Second Half 2015 ». URL : http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/File:Electricity_prices_for_household_consumers,_second_half_2015_%28%C2%B9%29_%28EUR_per_kWh%29_YB16-fr.png. Consulté le 18 août 2017.

[5] A Sustainable Energy Model for Spain in 2050: Policy Recommendations for the Energy Transition, Deloitte, mai 2016. URL : https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/es/Documents/estrategia/Deloitte_ES_Estrategia_Modelo-Energetico-Informe-Ingles.pdf. Consulté le 18 août 2017.

#Espagne #Transition écologique