Imaginez que l’on demande à quelques illustres penseurs de décrire en 1794 ce que serait la France de 1815. L’exercice eut sans doute été moins risqué que celui que lança la DATAR en 1994 lorsqu’elle sollicita l’avis de quelques brillants intellectuels sur la France de 2015. Or, avertit D. Pinto – en dépit de l’épopée napoléonienne – la situation en 1815 ne différait guère de celle de 1794 alors que celle de 2015 risque d’être très différente de celle d’aujourd’hui.
Nous risquons, affirme l’auteur, de vivre une révolution qui – dans les domaines économique, social, culturel, politique – recréera les clivages que celle de 1789 était censée avoir aboli. D. Pinto souligne ainsi d’emblée le principal défi auquel est exposée la société française dont elle s’attache ensuite à décrire les atouts et les handicaps, les uns étant souvent l’envers des autres: un Etat fort et… impuissant, un territoire vaste mais… en voie de désertification, une société stable mais… sujette à de profondes déchirures.
Fort plaisamment, l’auteur nous propose une analyse de la société française d’abord vue des Etats-Unis, puis d’Italie. D’Amérique du Nord, cette société française, d’apparence tranquille, apparaît très bloquée, sans grande mobilité sociale, victime d’un système étatique trop lourd et centralisé, incapable d’incarner les principes républicains au point que se reconstitue un tiers-état alors que se reproduisent indéfiniment à l’identique les élites.
Vue d’Italie, on ne peut qu’être admiratif de l’Etat français et de son ordre public mais frappé par l’absence de véritable dynamisme de la société civile et sceptique sur une décentralisation annoncée par Paris mais qui – fruit d’une longue tradition jacobine – ne rencontre dans les provinces guère d’écho faute d’identité locale et de véritables élites…
La France, nous dit courtoisement Diana Pinto, vit encore comme au temps du Roi Soleil, imprégnée de son ancestrale grandeur. Mais elle va devoir s’adapter à grande vitesse à l’Europe, surmonter ses rigidités, dépasser les « sempiternels tics d’une technocratie politique incapable d’être à l’écoute de la société ».
Deux ans se sont écoulés depuis l’écriture de ce papier auquel D. Pinto vient d’adjoindre un post-scriptum. Celui-ci témoigne davantage d’une aggravation de la situation plutôt que d’un processus d’adaptation qui serait amorcé.
La société française fière de ses maux
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 207, mars 1996