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La Dépendance économique des femmes, une affaire d’État ?

Comment le patriarcat économique de l’État dépossède les femmes de leur indépendance économique

Analyse de rapport

Début février 2023, l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes publiait sa deuxième note, intitulée La Dépendance économique des femmes : une affaire d’État ? Comment le patriarcat économique de l’État dépossède les femmes de leur indépendance économique. Derrière ce titre choc se cache une analyse rigoureuse conduite par Lucile Peytavin, historienne, et Lucile Quillet, journaliste.

Peytavin Lucile et Quillet Lucile, La Dépendance économique des femmes, une affaire d’État ? Comment le patriarcat économique de l’État dépossède les femmes de leur indépendance économique, Paris : Fondation des femmes (Note n° 2), février 2023, 28 p.

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L’Observatoire de l’émancipation économique des femmes, nouvellement créé et soutenu par le Crédit municipal de Paris, est un organe de la Fondation des femmes, elle-même sous l’égide de la Fondation de France. Son objectif : démanteler les idées reçues qui empêchent encore d’accéder à une réelle égalité entre hommes et femmes, et notamment l’idée selon laquelle l’entrée des femmes sur le marché du travail à la fin du XXe siècle aurait signé la fin de la domination économique masculine qui pèse sur elles.

La note l’explique de manière exhaustive et argumentée : les femmes ont plutôt connu, au cours des 40 dernières années, une mutation des formes de domination économique que leur réelle abolition. La sociologue Christine Delphy révélait déjà une partie de ces nouvelles oppressions dans son livre L’Ennemi principal (Paris : éditions Syllepse, 2013), comme le rappelle Anne-Cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des femmes, en introduction. Elle y montrait comment le salariat a rendu « gratuit » le travail domestique, principalement réalisé par les femmes (72 % des tâches accomplies par elles), sans aucune compensation matérielle ou financière. C’est un point que Futuribles a largement détaillé dans le chapitre « Genre et sexes : de l’assignation à la fluidité ? » du Rapport Vigie 2023, explorant même l’hypothèse d’un revenu spécifique aux tâches domestiques. Mais c’est loin d’être le seul problème.

Fait bien connu, les écarts de salaire entre hommes et femmes restent toujours importants. Dans 75 % des cas, dans les couples hétérosexuels, les femmes gagnent moins que leur compagnon. Cela s’explique aussi parce qu’elles sont plus nombreuses à travailler moins pour prendre soin des enfants. Dans les familles avec un enfant, 28 % des mères sont à temps partiel ; ce chiffre monte à 42 % quand il y a trois enfants. Par ailleurs, 51 % des femmes en temps partiel indiquent l’être pour s’occuper de leurs enfants. En parallèle, plusieurs mécanismes fiscaux participent à renforcer la dépendance des femmes aux hommes, car de multiples règles et calculs, régissant le système d’imposition et les aides françaises, reposent toujours sur une vision patriarcale de la famille, ainsi que sur un principe de solidarité conjugale sexiste, considérant que l’homme doit subvenir aux besoins de sa conjointe, au détriment des femmes, qui, de fait, se trouvent pieds et poings liés à leur compagnon. Le 1er octobre 2023, l’allocation aux adultes handicapés a ainsi été « déconjugalisée » pour assurer des revenus propres aux bénéficiaires. Mais le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité, les pensions de réversion, l’allocation de soutien familial…, et plus globalement l’imposition commune des couples reposent toujours sur la prise en compte des revenus du conjoint.

Or ces systèmes ne sont plus adaptés à la réalité des couples modernes. Les séparations sont plus courantes, de moins en moins de gens se marient et, même mariés, les individus tendent à préférer l’individualisation des biens, ce qui, là encore, se fait au détriment des femmes qui peinent à augmenter leur patrimoine. L’approche par le foyer dans les logiques de redistribution « trahit une vision court-termiste et naïve » des politiques publiques et favorise, encore une fois, la précarisation des femmes. Après une rupture, leur niveau de vie baisse, en moyenne, de 20 % ; leur retraite est de 24 % inférieure à celle des hommes alors qu’elles travaillent environ un an de plus. Et plusieurs aides qui leur sont allouées lorsqu’elles sont seules leur sont retirées si elles se remettent en couple.

La note, très pédagogique, décortique par le menu l’ensemble de ces mécanismes fiscaux et dénonce, notamment, le « cadeau fiscal fait aux hommes aisés aux frais des femmes » qu’est la conjugalisation de l’impôt sur le revenu. Elle cite un document de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) qui démontrait, en 2019, que le taux d’imposition des hommes sous le régime de conjugalité baisse de 13 points en moyenne grâce aux bas revenus de leur conjointe, alors qu’il augmente de 6 points en moyenne pour les femmes par rapport à ce qu’elles auraient payé si elles étaient célibataires. Ceci se fait au détriment non seulement des femmes, mais aussi de la collectivité dans son ensemble, puisque le manque à gagner de l’État découlant de la conjugalité de l’impôt est estimé dans une fourchette de 11,1 milliards d’euros à 27,7 milliards d’euros. La note rappelle en outre que la France est l’un des derniers pays européens à appliquer ce système…

Mais aussi incisif qu’il soit, ce travail laisse néanmoins le lecteur sur sa faim. Si les autrices de la note appellent à une modernisation des règles administratives et fiscales pour qu’elles reflètent mieux la société française contemporaine, elles n’ouvrent pas leur réflexion sur une liste de réformes envisageables ou sur des modèles alternatifs déjà existants dont on aurait aimé pouvoir s’inspirer. Peut-être dans un prochain rapport ?

#Aspects économiques #Femmes #Genre #Inégalité sociale