Dans ce bref ouvrage, Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), prend pour point de départ de sa réflexion les élections présidentielles et législatives de 2017, analysées à l’aune de la neuvième vague du baromètre de la confiance politique du CEVIPOF.
En 1961, 51 % des Français faisaient confiance aux hommes politiques ; en 1978, ils ne sont plus que 45 %. En 2003, ce taux n’est plus que de 33 % et de 25 % en 2010. En décembre 2017, le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF témoigne d’une chute de la confiance dans le personnel politique, qu’il s’agisse des députés (35 % contre 44 % en 2016), des maires (55 % contre 64 % en 2016) ou des conseillers départementaux (40 % contre 49 % en 2016). Seul le président de la République connaît une hausse : 36 % des enquêtés lui font confiance en décembre 2017 contre 25 % pour François Hollande un an auparavant. Cette méfiance vis-à-vis du monde politique qui atteint des sommets dans les années 2010 est-elle l’illustration d’une crise profonde de la démocratie représentative ? C’est là le cœur du propos de cet ouvrage.
Luc Rouban constate, dans un premier temps, une fragmentation au sein de la population française. Le rejet de la vie politique, explique-t-il, est le fait de ceux qui refusent la construction européenne, les élites et la mondialisation, à savoir les citoyens les moins diplômés, les plus jeunes et les plus modestes. Par exemple, en France, 53 % des jeunes peu diplômés (niveau CAP, certificat d’aptitude professionnelle) perçoivent négativement l’Europe, contre 18 % des plus de 65 ans diplômés (titulaires au minimum d’un bac + 4).
Ce phénomène touche toutes les démocraties occidentales, où l’émergence de mouvements, de candidats ou d’élus populistes (Marine Le Pen en France, Donald Trump aux États-Unis, Viktor Orbàn en Hongrie) témoigne d’une fracture profonde dans le tissu électoral, qui n’est pas le fait d’une simple déception à l’égard des politiques publiques. Selon l’auteur, apparaît une génération de « dépossédés » de la vie économique et politique qui rejettent toutes les institutions en bloc, se méfient de plus en plus et ne croient plus en la vie démocratique.
Cette fracture est accentuée par deux phénomènes : « la privatisation de la vie politique » et le faible brassage social dans les hautes sphères de l’État.
L’essor de la mondialisation, dans les années 1970, a entraîné une vague de privatisations : c’est à cette époque qu’apparaît le concept de « désengagement de l’État ». Le phénomène n’a cessé de s’accentuer depuis, avec l’adoption des principes du new public management développé aux États-Unis, basé sur l’idée d’insuffler un esprit d’entreprise et de rentabilité dans l’action publique. Le projet de modernisation de la vie politique lancé par Nicolas Sarkozy dans les années 2010 suit également cet esprit. L’État est appelé à se conformer aux critères de performance des grandes entreprises privées : les ministres, par exemple, se voient attribuer des feuilles de route qui permettent d’évaluer leur action.
Cette privatisation ne s’est pas accompagnée d’un plus grand brassage social au sein des hautes sphères de l’État. Le pouvoir politique national renvoie donc l’image d’une concentration inédite des élites du public et du privé. La crise de confiance politique dévoile une fracture sociale profonde entre ceux qui peuvent pleinement participer à la vie politique et ceux qui sont laissés de côté.
En conséquence, la demande d’une démocratie beaucoup plus directe s’est développée ces dernières années, favorisée par l’essor des outils numériques. Ainsi, le nombre de pétitions en ligne n’a cessé de s’accroître, tout comme l’emploi des réseaux sociaux pour manifester son mécontentement ou défendre une cause. On a également vu apparaître des mouvements de contestation plus spontanés et moins structurés comme Occupy Wall Street ou Nuit debout. En 2017, en France, 45 % des électeurs d’Emmanuel Macron déclarent vouloir une démocratie plus directe ; ils sont 67 % parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et 69 % parmi ceux de Marine Le Pen.
Depuis quelques années, la sphère publique tente de s’adapter à ces nouvelles attentes. La démocratie participative s’est largement diffusée au niveau local, elle s’est même institutionnalisée avec, par exemple, la loi Vaillant de 2002 qui oblige les communes de plus de 80 000 habitants à organiser des conseils de quartier.
En conclusion, selon Luc Rouban, la crise que connaît aujourd’hui la démocratie représentative est largement due au sentiment de dépossession politique lié au fait que de plus en plus de décisions sont le fruit de mécanismes peu transparents et complexes, et qu’elles s’imposent au citoyen. Les revendications indépendantistes récentes (Catalogne, Royaume-Uni, Corse…) sont une illustration de cette crise. La mise en place d’une démocratie plus directe pourrait être la solution, moyennant une amélioration de la culture politique des citoyens qui la pratiquent, afin notamment d’éviter toute dérive populiste. Maintenant que les conditions de développement d’une démocratie locale et plus directe sont posées, explique l’auteur, il faut se concentrer sur l’aspect le plus crucial : la formation civique de tous les citoyens.