En France, entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2010, la part de jeunes sortis depuis moins de cinq années du système éducatif qui occupent un emploi précaire [1] a presque doublé, passant de 17 % à 29,6 %, selon l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques). Mais depuis 2015, la situation s’améliore. Faut-il y voir un signe de changement durable, notamment pour les moins qualifiés qui sont plus lourdement pénalisés ?
Les chiffres
La précarité des jeunes sortant du système éducatif s’est développée très rapidement à la fin des années 1980. En quatre ans seulement, de 1985 à 1989, le taux de précarité a grimpé de 10 points, de 17 % à 27 %, sous l’effet de la progression du chômage. Il a ensuite évolué beaucoup plus lentement, alternant des phases de hausse et de baisse. Par ailleurs, les trajectoires des jeunes sont très différentes selon leur niveau de diplôme. Au milieu des années 1980, les différences demeuraient contenues : en effet, 13 % des jeunes diplômés du supérieur étaient concernés par la précarité à l’entrée sur le marché du travail, contre 19 % de ceux qui n’avaient aucun diplôme. Ces jeunes appartenaient encore à une sorte d’univers commun. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, avec des taux qui vont respectivement du simple au double : respectivement 22 % et 47 % [2].
© Centre d’observation de la société.
Part des jeunes sortis depuis moins de cinq ans de formation initiale, en emploi précaire, en France (en %)
Source : INSEE.
Cette précarité n’a rien d’éphémère pour un grand nombre de jeunes adultes. Parmi ceux qui n’ont pas de diplôme, cinq à dix ans après leur sortie du système éducatif, le taux de précarité est encore de 35 %. Ainsi, sur le marché de l’emploi, il n’existe pas une, mais des « jeunesses », placées dans des situations inégales. Le gros des troupes du travail précaire et flexible est constitué de jeunes adultes issus des milieux populaires, disposant au maximum du bac. En moyenne, les autres s’en sortent beaucoup mieux.
Cela ne veut pas dire que tout va pour le mieux pour les jeunes diplômés. En 30 ans, la part de jeunes ayant quitté l’enseignement supérieur depuis moins de cinq ans et occupant un emploi précaire est passée de 13 % à 22 %. Parmi ceux sortis depuis cinq à dix ans, elle est passée de 4,2 % à 10,7 %. Leur situation est bien meilleure que celle des non-diplômés, mais elle se détériore aussi.
Entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 2000, le nombre d’étudiants a été multiplié par deux. À l’intérieur de cette jeunesse diplômée, les inégalités sont grandes entre ceux des filières les plus sélectives et les autres. Le taux de chômage des diplômés d’écoles de commerce, trois années après leur sortie d’études, était de 5 % en octobre 2020, contre 8 % parmi les détenteurs d’un master et 15 % de ceux sortis en troisième année de licence ou première année de master. Un grand nombre de jeunes diplômés déchantent en arrivant à la porte du monde du travail. L’écart est grand entre la réalité sociale et ce à quoi ils pensent pouvoir prétendre, en particulier s’ils se réfèrent à la situation de leurs parents. Bien qu’ils s’en sortent mieux que les moins diplômés, cela ne les rassure en rien : ce qui compte pour eux, c’est ce déclassement par la précarité.
Ces données peu médiatisées en disent long sur la situation concrète des jeunes en France. La flexibilité du marché du travail repose en grande partie sur leurs épaules. Par ailleurs, l’insécurité qu’elle entraîne se répercute sur leurs conditions de vie, en particulier l’accès au logement, sur leur capacité à se projeter dans l’avenir, à réaliser des projets, exercer des activités régulières (loisirs, engagements associatifs, pratiques culturelles, etc.). Cette situation exacerbe les tensions. À l’opposé, on surmédiatise la situation d’une minorité de jeunes diplômés qui, en début de carrière, ont la possibilité de choisir un contrat à durée déterminée pour tester leur futur lieu de travail.
Et demain ?
Depuis 2015, la précarité des jeunes sur le marché du travail diminue. Le mouvement est net chez les moins qualifiés, dont le taux de précarité a baissé de 65 % à 47 % en 2021. Il reste extrêmement élevé, mais l’écart s’est réduit par rapport à la moyenne des jeunes. Au total, le taux de précarité des jeunes sortis depuis au moins cinq années du système scolaire est comparable à celui de 1990. Le mouvement est d’importance et certaines entreprises sont victimes de la dérégulation du marché du travail : les précaires sont moins attachés à leur entreprise.
Toute la question est de savoir combien de temps va durer cette amélioration. Deux scénarios sont possibles. Depuis 30 ans, chaque phase de diminution de la précarité a été suivie d’un retournement négatif. Au bout du compte, le niveau de précarité des jeunes récemment insérés dans l’emploi oscille autour de 30 % en moyenne : une sorte d’équilibre de long terme marqué par une précarité structurelle considérable pour les moins qualifiés, qui peut durer jusqu’à une dizaine d’années même et qui marque les générations. Au final, la plupart vont finir par trouver un emploi à durée indéterminée un peu moins instable. Mais entre-temps cette période de précarité, qui empêche l’accès au logement autonome et à la vie de famille, par exemple, les aura marqués.
On peut aussi imaginer une issue plus positive, avec une poursuite de la baisse du chômage, engagée depuis 2015, qui se répercuterait durablement sur les statuts. Pour garder leurs jeunes salariés, les employeurs, privés comme publics, réduiraient alors le recours à l’emploi précaire, pas seulement pour les jeunes les plus qualifiés. Ceci constituerait une énorme amélioration pour eux.
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Source : cette note est issue d’un partenariat avec le Centre d’observation de la société.
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Les emplois précaires comprennent les contrats à durée déterminée, l’intérim et l’apprentissage. La prise en compte de l’apprentissage est discutable car ils disposent d’un volet formation. Il s’agit des emplois dans lesquels la durée est définie. ↑
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Dont une partie s’explique par le développement de l’apprentissage et des stages. ↑