Les e-fuels / e-carburants ou électrocarburants sont des carburants fabriqués à partir d’hydrogène dit « vert » — c’est-à-dire produit par un procédé utilisant l’électrolyse de l’eau — qui est ensuite associé à du CO2 capturé soit à la sortie d’usines, soit dans l’air, pour produire du méthane, du méthanol ou des carburants paraffiniques de synthèse tels que l’e-essence, l’e-gasoil ou l’e-kérosène. Notons que l’on peut aussi produire de l’ammoniac, mais en faisant réagir l’hydrogène avec de l’azote au lieu du CO2.
Le problème est que ce type de production consomme énormément d’énergie : l’électricité renouvelable nécessaire à la production de l’hydrogène par électrolyse, l’énergie nécessaire à la capture du CO2, puis l’énergie nécessaire soit pour la réaction de méthanation ou hydrogénation du CO2 pour obtenir de l’e-méthane, soit pour les autres réactions de synthèse souvent catalytiques visant à obtenir des e-carburants (essence, gasoil ou kérosène) [1]. Le rapport des industriels de l’énergie précise que la plus grande part de la consommation énergétique est liée à la production d’hydrogène : le rendement de conversion de l’électricité en carburant est de 40 % à 60 % selon l’électrolyseur utilisé [2]. Donc si les voies de synthèse pour faire réagir le gaz carboné avec l’hydrogène sont matures et bien connues, elles consomment néanmoins de l’énergie pendant le processus. Surtout, la production de ces carburants repose sur une filière de production d’hydrogène et de capture du CO2 qui n’est pas encore mature.
L’intérêt majeur de ces carburants liquides est qu’ils peuvent se substituer aux carburants fossiles classiques sans changement dans les usages. Leurs propriétés sont similaires aux carburants fossiles mais ils ont l’avantage de présenter une plus grande pureté, c’est-à-dire moins de soufre ou de particules aromatiques (HAP) qui génèrent des pollutions. Si ces carburants nécessitent du CO2 pour leur fabrication, ils ne l’éliminent pas et se contentent de le recycler. Par ailleurs, comme les carburants fossiles, ils émettent des oxydes d’azote ou des particules lors de leur combustion.
Le potentiel des électrocarburants est important pour le transport maritime et l’aviation, car ces deux secteurs sont soumis à des réglementations européennes de plus en plus contraignantes, et l’électrification directe avec des batteries n’est guère envisageable en l’état actuel de la science sur de très longues distances. Le secteur maritime doit ainsi à la fois réduire les consommations des navires (depuis juillet 2023) et utiliser des carburants dont le contenu en gaz à effet de serre devra être réduit de 2 % d’ici 2025 puis de 80 % en 2050. Pour faire face à ces obligations, le troisième transporteur maritime au monde, CMA-CGM (Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime), estime que des solutions électriques à batteries ou à hydrogène sont trop volumineuses pour propulser des porte-conteneurs. Le transporteur maritime va commander des navires fonctionnant au gaz naturel liquéfié dans un premier temps, mais qui pourraient ensuite fonctionner au biométhane ou à l’e-méthane. Le deuxième transporteur maritime mondial de conteneurs, Maersk, avait annoncé, en 2021, un investissement dans des partenariats pour produire de l’e-méthanol (à partir de CO2 biogénique [3]) pour décarboner le carburant de ses navires. Il a prévu la mise en service de 19 navires fonctionnant à l’e-méthanol entre 2023 et 2025, pour atteindre sa cible de 25 % de carburant vert à l’horizon 2030, avec du biométhanol et de l’e-méthanol.
Le problème majeur est de pouvoir disposer de suffisamment d’électricité verte pour produire ces carburants, compte tenu de la concurrence des autres secteurs (transport, industrie, logement) dans la consommation d’électricité verte.
Dans le transport aérien, les parlementaires européens ont adopté récemment une directive qui impose l’incorporation de carburants d’aviation durables, à hauteur de 2 % en 2025, 6 % en 2030, 20 % en 2035…, jusqu’à 70 % en 2050. Le terme de carburant durable recouvre les carburants liquides, les biocarburants et les carburants synthétiques issus de la filière hydrogène. Aujourd’hui, ce sont principalement des huiles ou des graisses issues de déchets alimentaires hydrogénés. La France, en avance de phase, impose déjà 1 % de carburant durable aux avions depuis 2022. Or, les biocarburants commencent à manquer, la production ne suffisant pas pour répondre à la demande. Air-France / KLM a déjà dû acheter 17 % de la production mondiale de biocarburants d’aviation pour satisfaire cette obligation. En Europe, selon l’initiative ReFuelEU Aviation, la production de carburants durables pour l’aviation est estimée aujourd’hui à 0,24 million de tonnes, alors que la demande en kérosène attendue en 2030 serait de 46 millions de tonnes. Pour atteindre les objectifs européens, il faudrait donc presque quadrupler la production de carburants verts d’ici 2025, et la multiplier par plus de 10 à l’horizon 2030.
Biocarburants et / ou e- carburants ?
En France, une part significative des biocarburants incorporés à l’essence et au diesel routier sont aujourd’hui importés. Le pays consacre environ 3 % de sa surface agricole à la production d’éthanol issu de la culture de céréales (ajouté à l’essence) et d’esters méthyliques d’acides gras (EMAG) fabriqués à partir de graines oléagineuses, mais cela reste insuffisant pour satisfaire la demande et ces biocarburants dits de première génération entrent directement en concurrence avec la production alimentaire.
Les biocarburants dits de seconde génération, qui utilisent les pailles et les fibres, donc les déchets agricoles ou forestiers, sont attendus depuis longtemps. Des procédés de production pour cette seconde génération, bioTfuel pour le biokérosène et Futurol pour le bioéthanol, sont arrivés en fin de phase d’expérimentation en 2022 en France, mais la date de mise en production industrielle n’a pas été encore précisée. Il faut cependant prendre en compte que la production de la filière de seconde génération comme les e-carburants sera au moins deux fois plus coûteuse que les biocarburants d’aujourd’hui, eux-mêmes trois fois plus coûteux que le kérosène fossile.
Une directive européenne fixe comme objectifs, outre une part d’énergies renouvelables de 14 % dans l’ensemble du secteur des transports à l’horizon 2030, également une part de biocarburants avancés, c’est-à-dire de seconde génération, et de biogaz de 3,5 % au même horizon. Elle confirme le plafond actuel d’incorporation de biocarburants de première génération.
Pour faire face à ces demandes croissantes et rapides de carburants décarbonés (pour le transport tant maritime, aérien que routier), les carburants électriques apparaissent comme une solution d’intérêt, surtout dans les filières industrielles de transport plus difficiles à électrifier.
La filière automobile s’intéresse aussi à ces carburants électriques : la partie n’est peut-être pas encore complètement perdue pour la filière des automobiles thermiques. Ainsi l’Allemagne, lors de la dernière ligne droite des négociations visant à interdire de facto les voitures thermiques en 2035, a obtenu de la Commission européenne, en mars 2023, qu’elle intègre une voie légale pour la commercialisation de voitures thermiques fonctionnant aux e-carburants. Mais l’issue de ce nouveau parcours législatif ne sera connue qu’à l’automne 2024.
Les e-carburants, en raison de leur consommation électrique, sont contestés par les écologistes. Selon l’organisation non gouvernementale (ONG) Transport et environnement, il faudrait cinq fois plus d’électricité pour faire 100 kilomètres en voiture fonctionnant à l’e-carburant qu’en voiture électrique. Par ailleurs, la directive sur les énergies renouvelables (RED) de l’Union européenne les autorise à ne réduire leurs émissions de CO2 que de 70 % comparativement aux carburants fossiles, permettant par exemple l’utilisation d’hydrogène d’origine fossile ; ces carburants émettraient alors plus de CO2 que les véhicules électriques. Ils sont perçus comme une tentative de maintenir les moteurs thermiques au-delà de 2035, alors que ces e-carburants si coûteux en énergie seront aux mieux réservés à du transport très longue distance ou à des usages de niche (véhicule de collection, sport automobile) dans le cas où l’électrification directe ou indirecte via l’hydrogène serait jugée trop contraignante. Selon l’ONG, l’essence synthétique coûterait 50 % plus cher que l’essence fossile (estimée à 2,82 euros le litre en 2030 en France).
La réalité est pour l’instant bien en deçà de cette évaluation. La seule usine qui produise des e-carburants de façon industrielle au monde, l’usine chilienne de Porsche et Siemens, ouverte en décembre 2022, vise à produire 130 000 litres d’e-carburant par an mais à un coût 100 fois supérieur à l’essence ordinaire (soit 50 euros le litre). En France, il existe 24 projets de production de carburants de synthèse, principalement du kérosène et du méthanol, pour une capacité équivalente à 528 000 tonnes équivalent pétrole et un coût de 3,6 milliards d’euros. Mais cette production, si tous les projets voient le jour, nécessitera 14 térawattheures (TWh) par an, soit l’équivalent de 3 % de la production électrique française de 2022, en complément du CO2, pour produire moins de 10 % de la consommation nationale de carburants pour le transport aérien (kérosène) en 2022.
Comme il est nécessaire de pouvoir fabriquer de l’hydrogène vert en grande quantité et bon marché pour produire des e-carburants, on ne peut pas compter sur une production conséquente de ces carburants avant au moins 2035. D’ici là, l’espoir d’accroître la part de carburants liquides moins émetteurs de gaz à effet de serre dans les transports de très longue distance repose d’abord sur les développements de biocarburants lignocellulosiques. Ceci d’autant que les progrès en génie génétique, en particulier l’usage des ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9 [4], laissent espérer que l’on pourra modifier des bactéries pour produire de l’éthanol à partir de cellulose avec un bon rendement. La production d’e-carburants est plus consommatrice d’énergie que les biocarburants de seconde génération (cellulose) mais présente l’intérêt, à terme, de ne pas utiliser du tout de biomasse.
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Via le procédé de Fischer-Tropsch sur un gaz de synthèse, la coélectrolyse à haute température ou d’autres procédés utilisant des alcools de synthèse comme le Methanol-to-Gasoline. Voir les détails techniques dans la Note de synthèse sur les électro-carburants du groupe de travail e-fuels d’Evolen, février 2023. ↑
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Sur base PCI. Le rendement est le ratio entre le pouvoir calorifique inférieur (PCI) du carburant liquide de synthèse produit (44 mégajoules par kilo [MJ/kg]) et la quantité d’électricité consommée pour le produire (majoritairement issue de la consommation de l’électrolyseur). Un gain sur le rendement peut être obtenu en valorisant la chaleur dégagée par la synthèse Fischer-Tropsch qui est exothermique. ↑
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Le carbone biogénique est le carbone fixé par la plante suite à la photosynthèse à partir du CO2 de l’air. ↑
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CRISPR : Clustered Regularly Interspaced Palindromic Repeats ; Cas9 est l’enzyme la plus couramment associée et signifie CRISPR associated protein 9. ↑