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Démographie et immobilier : vers une baisse des prix ?

En 20 ans, les prix de l’immobilier ont plus que triplé à Paris, la hausse étant à peine moins rapide en banlieue proche et dans de nombreuses autres villes. Depuis trois ans, cette flambée prolongée des prix semblait marquer le pas, mais les dernières statistiques publiées en 2016 laissent entrevoir une nouvelle envolée. Que penser du niveau exorbitant atteint par ces valeurs immobilières et comment analyser cette reprise de la hausse ?

Nombreux sont ceux qui s’intéressent à cette question, au point que la conférence de presse de la Chambre des notaires de Paris sur le niveau des prix et le volume des ventes est devenue un rendez-vous très prisé. Chaque trimestre, les journalistes s’y pressent en quête d’un scoop ou d’un article assuré d’une large audience – propriétaires et investisseurs soucieux de connaître la valeur de leur patrimoine, ou candidats à l’accession cherchant à percevoir l’orientation du marché. Ainsi, la moindre oscillation des prix, le plus infime mouvement de hausse ou de baisse du nombre de transactions sont décortiqués et font l’objet de commentaires péremptoires sur les tendances pour les jours et les mois à venir. En vérité, peu de raisonnements étayés ni de réflexions prospectives dans ces « analyses à chaud » des dernières productions statistiques. Autant les titres des articles sont généralement affirmatifs sur l’orientation récente (et contradictoires d’un mois sur l’autre), autant leurs conclusions restent prudentes. Et comme tout bon horoscope, elles laissent la place à toutes les interprétations, dans l’attente du prochain soubresaut statistique.

Rien de tel dans la thèse présentée par Arnaud Simon et Yasmine Essafi. Leur étude intitulée Concurrence générationnelle et prix immobiliers [1] présente une analyse fouillée des tendances passées et des facteurs susceptibles de pousser les prix immobiliers à la hausse ou à la baisse. Elle démêle et évalue l’influence effective des divers facteurs explicatifs de l’évolution des prix du logement au cours des dernières décennies.

Les auteurs rappellent les trois types d’éléments généralement mis en avant pour expliquer les variations du prix du logement : les paramètres économiques, les effets géographiques et les facteurs démographiques. Et ce que l’on retiendra en premier lieu de ce travail, c’est la place prédominante qu’ils accordent aux déterminants démographiques dans les fluctuations des prix du logement, et la portée prospective potentielle de ces résultats.

Rappelons brièvement les données du problème. Les auteurs s’intéressent aux prix immobiliers et à leur évolution, en France, au cours des 20 dernières années. Depuis 1998, ces prix ont augmenté de 250 %, alors que dans le même temps, le produit intérieur brut progressait de 56 % en valeur et 25 % en volume. Autrement dit, la hausse des prix a été de 25 % au cours de cette période, autre façon d’illustrer la déconnexion entre hausse des prix à la consommation et hausse de l’immobilier qui a été 10 fois plus rapide.

Le plus souvent, les explications à cette hausse de l’immobilier sont recherchées du côté des paramètres économiques et financiers : effet de l’accroissement des revenus, répercussion de la hausse des coûts de construction et des charges foncières, impact de l’évolution des taux d’intérêt… En fait, nous avons vu que revenus et inflation étaient restés très sages pendant la période et ne pouvaient expliquer cet emballement des prix.

La baisse des taux d’intérêt est également invoquée comme facteur explicatif de la hausse de l’immobilier de ces dernières années, les acquéreurs disposant de ce fait d’une capacité d’emprunt accrue pour une mensualité donnée. Mais, là encore, les auteurs n’accordent qu’une influence marginale à ce paramètre dans l’emballement des prix du logement.

À leurs yeux, la démographie reste le facteur déterminant de cette fluctuation des prix, et plus précisément les effets différés du baby-boom. Ainsi, l’entrée dans la vie active de la cohorte des baby-boomers, associée à leur plus ou moins grande facilité à devenir propriétaire au fil du temps, expliquerait la hausse des prix des années 1980 à la fin des années 2000, leur impact maximum se faisant sentir entre 1995 et 2006. Elle serait également cause de leur relative stabilisation depuis quelques années et laisserait entrevoir une spectaculaire baisse des valeurs [2] immobilières d’ici une à deux décennies.

Cette réflexion s’appuie sur la théorie dite du cycle de vie. Au début de la vie active, le niveau de revenu d’un individu est faible. Il augmente ensuite peu à peu, ce dernier cherchant alors à se constituer un patrimoine en achetant des actifs financiers et / ou immobiliers, et en ayant recours à l’endettement. Une fois la retraite venue, ses revenus se réduisant, il utilisera ce patrimoine pour soutenir son niveau de consommation.

L’ensemble des décisions individuelles des épargnants influe ainsi sur l’offre et la demande globale des actifs. La taille et la structure de la population exercent des pressions sur leur prix, à la hausse lorsque la population active s’accroît, à la baisse lorsque la population vieillit. Dans les pays anglo-saxons, ce mécanisme est assez bien illustré par l’impact des fonds de pension qui peuvent alterner période de collecte nette (beaucoup d’épargnants, peu de pensions à verser) et période de décollecte (situation inversée). Dans le premier cas, ils sont structurellement acheteurs de titres, ce qui pousse les prix à la hausse ; dans le second, ils sont structurellement vendeurs et exercent une pression à la baisse.

En France, où le système de retraite est assis sur un mécanisme de répartition, la formation de l’épargne repose sur d’autres comportements et notamment, depuis plusieurs décennies, sur l’incitation à accéder à la propriété de son logement, rejoignant un souhait fort répandu. La propension à accéder à la propriété est maximum entre 30 et 40 ans, le taux de propriétaires croissant ensuite de façon plus modérée jusqu’à l’âge de 75 ans.

La cohorte des baby-boomers (nés sur la période 1945-1975) a ainsi dynamisé le marché immobilier français de 1980 à 2010, contribuant à tirer les prix vers le haut. La pause amorcée il y a quelques années serait ainsi tout à fait logique et probablement durable, en dépit des derniers chiffres publiés. Plus encore, cette pause ne serait que le prélude à une baisse inéluctable des valeurs immobilières.

L’étude fait état de nombreuses références et analyses de ces mécanismes, dans des contextes géographiques variés [3]. Ainsi, d’autres pays ont déjà vécu ce type d’ajustement immobilier. Le Japon et l’Allemagne, pays les plus avancés dans le vieillissement, ont enregistré une baisse lente et régulière, de quelques pour-cent chaque année, des prix de l’immobilier. Ceux-ci ont baissé en termes réels [4] de 30 % en Allemagne sur les 20 dernières années et de près de 50 % au Japon en 25 ans.

Selon nos auteurs, la question se pose aujourd’hui, pour la France, de savoir quel sera le chemin suivi au cours des prochaines années : une lente érosion, que l’on pourra qualifier de « déflation », mais qui ne sera en fait qu’un synonyme de « papy-boom », ou bien un événement de type « crise » ?

Ces différents développements ouvrent pour les chercheurs et les gestionnaires de la politique du logement de passionnants sujets de méditation prospective ! Ils devraient notamment donner matière à des réflexions spécifiques afin de mieux apprécier les dynamiques démographiques des différentes régions françaises et d’analyser leurs effets dans les « zones tendues ». Quid de l’éternelle jeunesse de la métropole parisienne et du maintien du niveau actuel des prix et des loyers ? Quel pourrait être l’impact de ce processus sur les valeurs immobilières dans certaines régions très concernées par le vieillissement, avec ou sans accueil de citadins retraités ? Comment adapter la politique du logement – mesures de régulation des prix et loyers, ou soutien à la construction – à ces contextes régionaux divergents ?

Signalons enfin la dernière partie de l’étude consacrée à l’équité générationnelle dans l’accès au logement.

 


[1] Simon Arnaud et Essafi Yasmine, Concurrence générationnelle et prix immobiliers, étude à paraître dans la Revue d’économie régionale et urbaine, début 2017. Téléchargeable, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01138074. Consulté le 3 août 2016.

[2] Selon les auteurs, la reprise d’une hausse des prix de ces derniers mois tiendrait plus aux effets d’une politique monétaire expansionniste, propice au développement de bulles spéculatives qu’à des facteurs objectifs de déséquilibre entre offre et demande.

[3] Analyses départementales en France, études internationales sur le marché immobilier au Japon, en Allemagne, au Canada ou aux États-Unis.

[4] Après correction des effets de l’inflation.

#Logement #Prix #Vieillissement de la population