Pierre Veltz poursuit son exploration de ce qu’il baptise la « société hyper-industrielle ». Relativisant les complaintes relatives à la désindustrialisation, l’auteur décrit le brouillage des frontières entre industries et services. Plutôt qu’un monde postindustriel, Pierre Veltz dépeint les réalités d’un univers hyper-industriel quand les services s’industrialisent et l’industrie devient plus servicielle (on loue plus que l’on ne possède).
Lecteur curieux et auteur rigoureux, il traite ici des contraintes et des perspectives écologiques. Ingénieur, économiste et sociologue — car oui on peut valablement être les trois à la fois —, Pierre Veltz s’inquiète d’un certain abandon des horizons positifs de la modernisation et du progrès. Il note que la révolution numérique a perdu de sa superbe. Elle devait libérer, elle peut aliéner. La révolution écologique s’avère nécessaire, mais elle pétrifie ou pousse à des retours en arrière potentiellement dangereux. Non, nous dit Pierre Veltz, décarboner n’impose pas de décroître, de désindustrialiser et de démondialiser. Il faut continuer à croître, pour que davantage d’êtres humains profitent des bienfaits d’une croissance raisonnée. Il faut une industrie mise au service de notre environnement et de nos besoins réels. Il faut toujours plus de coopération globale et non des replis nationaux ou locaux.
Quand mondialisation et numérisation concourent, de concert, à la sophistication croissante de la production, de la distribution mais aussi des produits eux-mêmes, Pierre Veltz veut rediriger l’économie et le monde industriel vers des buts qui méritent nos efforts. Il veut aussi rendre confiance aux jeunes crispés par l’éco-anxiété.
Mettant de côté affirmations dogmatiques et slogans médiatiques, « examinant les données plus que les dogmes », il embarque le lecteur à la fois dans les solutions techniques (qui existent), dans les considérations économiques et dans des propositions en faveur d’une juste répartition des efforts.
Averti des limites des gadgets éco-favorables comme les potagers urbains, il signale que « la production des microprocesseurs au village, en circuit court, n’est pas pour demain ». S’érigeant contre les propos lénifiants qui traitent de verdissement ou de transition, il ne souhaite pas tétaniser avec de la radicalité. Il propose tout de même des ruptures. Pierre Veltz décrypte les potentialités d’une économie « humano-centrée » faite de santé, d’éducation, de divertissement ou encore de sécurité. Elle ne produit pas d’abord des objets, dont la surconsommation est néfaste sur tous les plans, mais du bien-être, avec des usages personnalisés.
Concrètement, science et technique produisent de l’éco-efficacité qui limite les gaspillages et baisse les coûts. Cependant, par effet rebond, les progrès liés à l’éco-efficacité, écologiquement vertueux, peuvent être effacés par les augmentations de la consommation. La voie essentielle est celle de la sobriété. Celle-ci n’est pas uniquement une vertu que l’on s’impose ; elle ne doit pas seulement relever d’interdictions que l’on se voit imposer (au risque de descendre dans la rue). La sobriété doit être systémique : elle porte sur l’organisation collective de nos modes de vie. Elle doit être équitablement répartie car, rappelle Pierre Veltz, ce n’est pas la classe moyenne, à l’échelle globale, qui pollue le plus. Ce sont bien les plus aisés (le 1 % le plus riche compte pour près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre). « Faire peser la sobriété, écrit-il, sur ceux qui n’en ont pas les moyens est le meilleur moyen de la disqualifier. »
Il ressort de ces analyses un programme volontaire, appuyé sur les connaissances scientifiques et acceptable politiquement : décarboner le plus rapidement possible le système énergétique, organiser des formules originales de covoiturage (par exemple en apprenant de pays du Sud), permettre le renouveau du bus, établir des péages urbains à tarifs modulés, cibler les moins favorisés pour la rénovation thermique des habitats. Une idée s’impose : cesser de montrer du doigt les périphéries, leurs habitants et leurs pavillons.
Plus ambitieux encore, Pierre Veltz envisage une évolution profonde du travail pour que les professions de cette économie humano-centrée soient mieux reconnues et permettent de consolider des classes moyennes heureuses, avec des métiers de conseil personnalisé et de mise en relation, contre l’automatisation et la déshumanisation des relations.
Son réalisme et son pragmatisme écologiques séduisent davantage que la litanie des prédictions apocalyptiques. « À court terme, conclut cet esprit inquiet sachant rester positif, notre capacité à faire face au changement climatique est nettement supérieure à ce que la plupart d’entre nous pensent. »