Ce texte est issu du Forum prospectif de l’Afrique de l’Ouest. Ce forum agit comme catalyseur des réflexions existantes sur le futur. Associant recherche, publications et débats, il a vocation à devenir un lieu de construction d’une réflexion sur les futurs possibles de l’Afrique occidentale et sahélienne qui conduise à l’action.
La hausse du prix des minerais peut avoir de sanglantes conséquences en Afrique. C’est ce qu’ont observé Nicolas Berman, Mathieu Couttenier, Dominic Rohner et Mathias Thoenig dans une étude intitulée « This Mine Is Mine! How Minerals Fuel Conflicts in Africa », parue dans l’American Economic Review et portant sur l’ensemble de l’Afrique de 1997 à 2010. Le boom des prix des minerais pourrait expliquer jusqu’à un quart des conflits en Afrique. La violence se déploie même au-delà des zones minières. Avec l’argent gagné, les rebelles étendent leurs zones d’influence.
Entre 2000 et 2009, le prix des minerais a plus que doublé en moyenne. Les conséquences sur le terrain semblent manifestes… Sur la période étudiée, un quart des conflits observés sur le continent africain peut être expliqué par la hausse de ces cours mondiaux.
En quadrillant l’Afrique par zones de 55 sur 55 km, l’étude se penche sur l’impact de l’augmentation du prix de 14 minerais. Ces résultats sont mis en relation avec une base de données géolocalisées des événements violents (des émeutes aux conflits civils en passant par les batailles entre groupes armés) sur tout le territoire africain.
Ce quadrillage à échelle locale va au-delà du cadre frontalier et réduit le poids des caractéristiques étatiques. Les conflits liés aux élections, les guerres interethniques ou religieuses n’interfèrent pas avec les résultats. Chaque zone peut être comparée à sa voisine, qui lui est en tous points semblable, la présence de minerais mise à part.
L’analyse permet donc d’affirmer que la hausse du prix a pour conséquence directe l’augmentation de la violence. Comment se répercute concrètement le cours des minerais sur le terrain ?
Rackets, extorsions ou encore profits : les groupes rebelles s’alimentent à travers la rente de ces mines. Lorsque l’État est faible, les mines sont convoitées par les groupes armés qui en font leur base arrière.
En république démocratique du Congo (RDC), secouée depuis plus de 20 ans par la guerre, plus de 40 milices quadrillent le territoire. Conquérir une mine permet aux rebelles de générer des revenus en taxant la production ou la population locale, ou de bénéficier du support logistique des compagnies minières. Ce système repose souvent sur la promesse de protection des communautés sur place. Avec la manne d’argent recueillie, les milices peuvent financer leurs activités. Lorsque le prix des minerais augmente, leur capacité de combat s’accroît et ils peuvent alors étendre leur zone d’influence.
L’étude montre que les groupes rebelles qui se sont emparés d’un territoire minier ont trois fois plus de chances de déployer leurs activités vers d’autres régions que des groupes qui conquièrent un territoire sans minerai. Cette escalade de violence est encore visible jusqu’à 1 000 kilomètres à la ronde.
Cependant, les groupes qui conquièrent un territoire sans minerai ne sont pas moins belliqueux. La détention d’une mine est donc bien un facteur déterminant.
Selon Raul Sanchez de la Sierra, auteur d’une étude portant sur 380 zones minières, intitulée « On the Origins of the State: Stationary Bandits and Taxation in Eastern Congo », suite à la hausse des prix du coltan, elle-même consécutive à l’annonce de la sortie d’une nouvelle PlayStation par la firme Sony, les milices se sont multipliées dans les régions productrices et la violence s’est accrue. À travers son effet sur les cours mondiaux, la consommation des pays occidentaux peut donc créer une véritable onde de choc.
Si les milices ne sont pas les seuls éléments perturbateurs de ces régions, les populations sont les premières touchées. Travail forcé, main-d’œuvre peu chère, non-respect des droits individuels sont le lot quotidien des mineurs africains. Derrière cette force laborieuse quasi gratuite, le risque d’émeute ou de révolte accroît aussi l’insécurité.
Selon les deux chercheurs américains Samuel Bazzi et Christopher Blattman, auteurs d’un article intitulé « Economic Shocks and Conflict: Evidence from Commodity Prices », les mines sont des zones potentiellement dangereuses, en fonction de l’évolution des prix.
Selon ces deux chercheurs, les chocs de prix ne suffisent pas à créer de nouveaux conflits. Ils peuvent en revanche renforcer la capacité de contre-insurrection des États quand ils contrôlent la zone productrice ou, voir plus haut, celle des groupes dissidents.
L’augmentation du cours des minerais entraîne la cupidité et l’intérêt des voisins. Les nouvelles opportunités économiques minières et l’insécurité génèrent d’importants mouvements de population et changements sociodémographiques, déstabilisant davantage les régions. Et derrière l’exploitation à outrance des sites miniers, les enjeux environnementaux se transforment parfois en disputes territoriales.
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Source : Berman Nicolas et alii, « This Mine Is Mine! How Minerals Fuel Conflicts in Africa », American Economic Review, vol. 107, n° 6, juin 2017, p. 1564-1610. URL : https://www.aeaweb.org/articles/pdf/doi/10.1257/aer.20150774 ; Sanchez de la Sierra Raul, « On the Origins of the State: Stationary Bandits and Taxation in Eastern Congo », Vox, 19 décembre 2017. URL : https://voxeu.org/article/stationary-bandits-taxation-and-emergence-states ; et Bazzi Samuel et Blattman Christopher, « Economic Shocks and Conflict: Evidence from Commodity Prices », American Economic Journal, vol. 6, n° 4, octobre 2014, p. 1-38. URL : https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/mac.6.4.1. Consultés le 28 juin 2019.