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Pour une écologie numérique

Analyse de livre

Dans cet ouvrage aussi bref que percutant, Éric Vidalenc, notamment conseiller scientifique de Futuribles International, s’interroge sur les articulations possibles entre deux transitions majeures : la transition énergétique et la transition numérique.

VIDALENC Éric, « Pour une écologie numérique », Les Petits Matins / Institut Veblen, octobre 2019, 128 p.

Livre disponible dans la bibliothèque Futuribles

D’un côté, la transition énergétique apparaît comme imposée par l’enjeu climatique et par les politiques publiques qui en résultent, notamment la neutralité carbone à l’horizon 2050. De l’autre, la transition numérique semble plus « désirée » par les individus et les sociétés dans leur ensemble, et est en tout cas devenue incontournable dans les modes de vie. Le numérique a notamment su s’imposer comme « un facteur de progrès et de modernité en soi ».

Néanmoins, le numérique n’est plus épargné par les exigences de la transition énergétique, à mesure que s’améliorent et se diffusent les connaissances sur son impact dans ce domaine. Ainsi, Internet représenterait à lui seul 10 % à 13 % de la consommation mondiale d’électricité, et 3 % à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Selon l’Agence internationale de l’énergie, à l’horizon 2030, jusqu’à 100 milliards d’objets connectés pourraient être en fonctionnement sur la planète, ce qui signifie que jusqu’à la moitié de l’électricité mondiale pourrait être consommée par le numérique. Et les équipements personnels ne représentent que la partie émergée de l’iceberg numérique, dont les infrastructures sont particulièrement gourmandes en énergie et en ressources stratégiques. Le volume et l’impact des déchets générés par le numérique restent également méconnus : seule la moitié des D3E (déchets d’équipements électriques et électroniques) sont recyclés en France dans des filières réglementées, et 15 % dans le monde.

Par ailleurs se pose la question du décalage entre la temporalité très longue de la construction des infrastructures énergétiques et urbaines, et celle des équipements numériques, qui se déploient et sont renouvelés en quelques années. Il en résulte d’une part des inerties fortes, d’autre part des tensions entre les besoins et les capacités de changement.

Le secteur énergétique apparaît lui-même très inefficace, puisqu’il est estimé que 80 % de la ressource est perdue entre l’énergie primaire (celle présente dans la nature) et l’énergie utile (celle qui sera effectivement consommée).

Face à constat, les promesses d’optimisation du système énergétique grâce au numérique se multiplient dans tous les domaines :

– la maison « intelligente » car ultraconnectée pour optimiser ses consommations d’énergie ;

– les réseaux électriques communicants et intégrant des sources de production d’électricité renouvelable ;

– l’essor de nouvelles industries, dites 4.0, reposant sur la production sur mesure et personnalisée, grâce à l’impression 3D, ce qui suppose néanmoins que cette technologie fasse encore beaucoup de progrès ;

– l’amélioration des pratiques agricoles et la lutte contre le gaspillage alimentaire ;

– l’essor de smart cities, villes envahies de capteurs pour optimiser les usages de l’énergie, des transports, la sécurité, l’éclairage, etc.

Mais toutes ces promesses se heurtent encore à de nombreux obstacles, que l’auteur analyse dans la dernière partie de l’ouvrage.

En premier lieu, un certain nombre d’innovations numériques proposées n’ont en réalité qu’un impact énergétique marginal. Or, Éric Vidalenc rappelle que « l’enjeu est de transformer structurellement le système énergétique, pas de l’optimiser pour le rendre seulement un peu moins inefficace…, et encore moins de délocaliser les pollutions pour mieux les ignorer ».

Certaines innovations peuvent même être contre-productives : l’auteur prend l’exemple du secteur de la mobilité. Alors que l’enjeu sur le plan énergétique et climatique est de trouver des alternatives au véhicule thermique occupé par une personne seule, certaines des solutions qui émergent concurrencent au contraire la marche, le vélo ou le train : trottinettes électriques, covoiturage ou encore feu Autolib’… Le potentiel du véhicule électrique, connecté et / ou autonome devra également être confirmé, compte tenu des consommations cachées qu’il peut générer (effet rebond, pertes d’électricité, terres rares nécessaires à la fabrication…).

Par ailleurs, l’accent est souvent mis sur les changements de comportements individuels, au détriment des transformations structurelles. Selon une étude du cabinet Carbone4, un quart des leviers de réduction de l’empreinte carbone de la France sont du ressort des individus ; les trois quarts restants relèvent d’une organisation et de choix collectifs.

Autre limite : le « solutionnisme technologique », ou les espoirs démesurés placés dans les technologies, au premier rang desquelles l’intelligence artificielle, devenue la panacée alors même que l’émergence d’une intelligence artificielle « forte » reste encore incertaine.

Il en va de même des attentes concernant le big data, l’accumulation de données toujours plus nombreuses et diversifiées dont la valeur réelle (en termes de connaissance, de gain économique…) peut être surestimée, voire risque de détourner d’enjeux majeurs. Mieux quantifier, souligne l’auteur, ne suffit pas pour mieux agir.

En conclusion, Éric Vidalenc rappelle que le défi pour l’avenir sera donc de changer les pratiques du numérique pour le rendre « sobre et efficace ». Il invite pour cela à s’intéresser au potentiel de la low-tech et des approches consistant à optimiser les consommations grâce à un usage raisonné du numérique, couplé avec tous les autres leviers nécessaires.

#Écologie #Énergie #Technologie de l’information #Technologie de pointe #Transition écologique