En parcourant la Loi de programmation militaire (LPM) française votée en juillet 2023, impossible de passer à côté de ce chiffre : 413,3 milliards d’euros, un budget en hausse de 40 % par rapport au précédent exercice. Cette loi, présentée comme un « véritable projet politique et militaire de transformation », a pourtant du mal à emporter l’assentiment des experts qui en dénoncent les arbitrages. En cause ? Les compromis opérés entre les trajectoires des précédentes LPM et les enseignements plus récents de la guerre en Ukraine.
« Après les réparations nécessaires, il faut désormais bâtir l’avenir. » C’est en ces termes que le président français a introduit à Toulon, en novembre 2022, l’esprit de la LPM. Huit mois plus tard, le résultat peut surprendre… Malgré la hausse du budget « équipement » d’environ 60 % par rapport à la précédente LPM et de celui dédié à l’entretien des matériels (+ 70 %), les armées recevront moins de blindés (2 400, soit une baisse de 30 %) et de frégates (trois au lieu de cinq) que les volumes prévus dans la précédente LPM. Même chose pour les aéronefs pour lesquels un étalement des livraisons a été décidé. D’ici 2030, l’armée de l’air et de l’espace alignera 137 Rafale au lieu de 185, et les avions de transport A400M ont été limités à 35 appareils à l’horizon 2030-2035 au lieu de 50. La priorité a été placée ailleurs…
Des armées plus réactives
Alors que la guerre en Ukraine a rappelé de manière cinglante l’importance pour les militaires de consacrer du temps à se préparer à l’opérationnel, l’entraînement des forces fera l’objet d’investissements massifs (65 milliards d’euros) [1]. De quoi remettre à niveau des spécialités actuellement en déficit d’entraînement, comme les régiments de chars Leclerc, fonctionnant très en dessous de leurs capacités, ou les pilotes de transport et de Rafale — pour lesquels les heures de vol étaient inférieures à la norme de l’Alliance atlantique —, et ainsi accompagner la bascule d’efforts vers des exercices de haute intensité.
Dépenser davantage dans un entraînement plus réaliste et des matériels mieux entretenus ne signifie pas pour autant que les volumes d’engagement augmenteront. Le niveau d’ambition opérationnelle que se fixent les armées françaises est peu ou prou le même qu’en 2013 lorsqu’elles se préparaient à fournir, dans l’hypothèse d’un engagement majeur, jusqu’à une division de 15 000 hommes, avec une quarantaine d’avions de combat et un groupe aéronaval complet (porte-avions, frégates, sous-marins nucléaires d’attaque) [2]. Cette stagnation est contrainte par un budget limité mais interroge compte tenu des masses engagées dans le conflit ukrainien — 300 000 combattants mobilisés de part et d’autre des 800 kilomètres de front ; et des pertes en matériels excédant très largement les quantités envisagées par l’exécutif français d’ici 2030…
Évolution du format des armées françaises depuis 1991

Sources : The Military Balance pour les années 1991, 2001 et 2021 ; Loi de programmation militaire 2019-2025 pour l’« Ambition 2030 », p. 93.