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La biologie synthétique à l’ordre du jour

À un mois d’intervalle, deux publications scientifiques ont mis en évidence les progrès de la biologie synthétique. La première, publiée dans la revue Science par une quinzaine de laboratoires dont deux français, fait état de la synthèse totale du chromosome 3 de la levure Saccharomyces cerevisiae (elle en possède 16). Les chercheurs ont réalisé cette synthèse au sein même de la cellule de levure en remplaçant le chromosome naturel par des séquences d’ADN (acide désoxyribonucléique) tout en le modifiant pour enlever des gènes dont la fonction n’est pas jugée essentielle ; la cellule ainsi modifiée s’est avérée être « fonctionnelle ». Dans le second article, publié dans le magazine Nature, deux laboratoires américains annoncent qu’ils ont « construit » un organisme vivant, la bactérie classique Eschericia coli, dont ils ont modifié le génome en introduisant dans son ADN deux nouvelles bases (provenant d’un milieu de culture et introduits par une protéine d’origine algale) différentes des cinq que l’on trouve dans l’ADN et l’ARN (acide ribonucléique) de tous les génomes naturels et qui sont la clef du code génétique. La bactérie modifiée par cette synthèse partielle in vitro a pu se répliquer, il reste à vérifier qu’elle pourra le faire in vivo, elle est la première bactérie dotée d’un ADN artificiel comportant des bases supplémentaires.

Ces deux avancées témoignent des potentialités importantes des techniques de la biologie synthétique. Cette discipline a véritablement décollé avec la première synthèse, en 2010, du génome complet de la bactérie Mycoplasma mycoides par l’équipe de Craig Venter aux États-Unis. Elle a pour objectif de faire la synthèse complète, ou partielle, d’organismes cellulaires en vue de les programmer pour qu’ils puissent produire des molécules d’intérêt pharmaceutique, des enzymes, voire des carburants. Une méthode consisterait à utiliser cette ingénierie biologique pour constituer l’équivalent d’une bibliothèque de modules synthétiques (des ensembles de nucléotides) que l’on pourrait ensuite assembler, comme dans un jeu de Lego®, dans un organisme pour le modifier à volonté afin de le transformer en une petite usine moléculaire.

Le développement de la biologie synthétique suscite bon nombre d’interrogations qui ont conduit l’IAP, un réseau mondial qui rassemble 106 académies nationales, à publier une déclaration sur cette nouvelle discipline. Il recommande notamment d’impliquer le public dans les débats sur ces techniques qui ont une dimension éthique et sociale, et d’examiner les modèles de propriété intellectuelle et d’accès aux résultats de la recherche. Les chercheurs sont partagés, en effet, en deux tendances : soit une attitude totalement ouverte pour l’accès aux résultats (analogue à l’open source pour les logiciels) soit une pratique classique en brevetant les organismes (la Cour suprême des États-Unis a décidé en 2013 que les gènes n’étaient plus brevetables, mais des génomes artificiels ne tombent pas sous le coup de cet interdit). Les activités de biologie synthétique devraient être régulées afin de respecter des normes strictes de sécurité. Des chercheurs soulignent que si la biologie synthétique ouvre des perspectives nouvelles, il faudra sans doute du temps pour comprendre l’incidence des modifications des cellules sur leur comportement. Il n’en demeure pas moins qu’elle représente une nouvelle étape pour le génie génétique.

Source : Annaluru Narayana et alii, « Total Synthesis of a Functional Designer Eukaryotic Chromosome », Science, 4 avril 2014, vol. 344, n° 6179, p. 55-58 ; Malyshev Denis A. et alii, « A Semi-synthetic Organism with an Expanded Genetic Alphabet », Nature, vol. 509, n° 7 500, 15 mai 2014, p. 385 ; dossier « Beyond Divisions: The Future of Synthetic Biology », Nature, vol. 509, n° 7 499, 8 mai 2014 ; Déclaration de l’IAP sur la mise en œuvre des potentialités de la biologie au niveau mondial : opportunités scientifiques et bonne gouvernance, Trieste, mai 2014. URL : URL : http://www.interacademies.net/

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