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Inégalités environnementales et sociales se superposent-elles ?

Analyse d'article

En septembre 2022, France Stratégie publie une note d’analyse posant la question suivante dans son titre : inégalités environnementales et sociales se superposent-elles ? Plutôt que confirmer ou infirmer directement cette hypothèse, la note cherche à en étudier les nuances, en établissant dans quelle mesure les inégalités d’exposition aux polluants sont corrélées avec les niveaux de vie, pour déterminer s’il existe un gradient social face à certains dangers environnementaux.

Fosse Julien, Salesse Camille et Viennot Mathilde, « Inégalités environnementales et sociales se superposent-elles ? », La Note d’analyse, n° 112, septembre 2022, 16 p., France Stratégie.

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Afin de rendre compte de la multiexposition des territoires aux pollutions de l’air et des sols, les auteurs ont élaboré l’IEM (indice d’exposition multiple) qui agrège six types de polluants : le dioxyde de soufre (SO2), l’ammoniac (NH3), les particules en suspension (PM2,5 et PM10 [1]), les oxydes d’azote (NOx) ainsi qu’une pollution concernant les sols. Cet indicateur peut prendre des valeurs unitaires allant de zéro à six, représentant le nombre de critères atteints. Un critère est atteint lorsqu’une commune appartient aux 20 % (ou quintile) des communes les plus polluées pour un type de polluant donné. Ainsi un IEM nul signifie que la commune ne fait pas partie des quintiles les plus pollués, ce pour aucun polluant, et un IEM de six, que la commune fait partie des quintiles les plus pollués pour les six polluants considérés. Ces données s’articulent ensuite avec des données socio-économiques au niveau des communes (taille, niveau de vie médian) puis des individus (catégorie socioprofessionnelle, âge ou encore taux de pauvreté).

Expositions et niveaux de vie des communes

La première étape de l’analyse consiste à croiser le niveau de vie médian des communes avec le niveau d’exposition à différents polluants.

Concernant la pollution des sols, la note constate que les communes les plus pauvres sont globalement les plus polluées, en raison de leur proximité avec des sites industriels. Le gradient de pollution des sols est dit « marqué » car on observe graphiquement une relation décroissante entre sols pollués non conformes et niveau de vie de la commune. Ceci pourrait s’expliquer par le maintien d’une population ouvrière et précaire résidant près de son lieu de travail. Il conviendrait de renseigner davantage ce lien entre passif industriel et niveau de vie précaire par des études qualitatives afin de compléter des données quantitatives de la note.

La pollution de l’air ne présente pas le même raisonnement linéaire entre niveau de pollution et niveau de vie. Le gradient socio-économique est dit « plus nuancé » selon le type de polluant atmosphérique considéré. Pour les PM2,5, la courbe a une forme en U, signifiant que les déciles extrêmes (les 10 % des communes les plus pauvres et les 10 % les plus riches) sont les plus exposés aux particules fines, en particulier dans la catégorie des villes moyennes et celle des grandes villes les plus riches (premier des deux graphiques ci-après). Concernant l’ammoniac, on observe une courbe en cloche pour les grandes villes et métropoles, signifiant que les niveaux de vie médians sont les plus exposés, phénomène qui s’atténue pour les petites communes et les villes moyennes (deuxième graphique).

Émissions annuelles de particules fines PM2,5 (à gauche) et d’ammoniac (à droite) par décile de niveau de vie médian, selon la taille de la commune (en kg par hectare)

N.B. : les déciles sont calculés pour chaque sous-échantillon de communes, défini par sa taille. Les petites communes correspondent à l’ensemble des villes de moins de 5 000 habitants.

Lecture : les 10 % des villes moyennes les plus riches émettent en moyenne 26,4 kg par hectare par an de particules PM2,5.

Source : France Stratégie.

Dans le but de saisir plus finement les caractéristiques territoriales, l’analyse se décline dans un second temps à l’échelle de trois archétypes de zones : les zones industrielles, agricoles et urbaines. Elle s’appuie pour cela sur des données socio-économiques relatives aux individus (catégorie socioprofessionnelle, âge…).

L’IEM à l’aune de trois archétypes de territoires

• Les zones industrielles présentent le plus fort gradient social d’exposition, c’est-à-dire que la relation entre inégalités d’exposition et inégalités sociales est la plus forte. Ces territoires se caractérisent à la fois par une plus grande exposition au dioxyde de soufre issu des rejets d’usines, mais également par une population jeune et un nombre de chômeurs et d’ouvriers plus élevé que la moyenne nationale. Cela est illustré par les territoires des Hauts-de-France, zone au passif industriel important et où le taux de chômage est plus élevé que dans le reste de la France. Les zones industrielles à IEM élevé cumulent à la fois pollution des sols et pollution au dioxyde de soufre, faisant de ces territoires des zones doublement vulnérables.

• Les grandes villes [2] et les métropoles présentent une exposition importante aux particules fines en raison de l’important trafic routier alentour. Représentées dans la note par la région Île-de-France, ces zones sont caractérisées par une population jeune, une surreprésentation des cadres dans les villes à IEM moyen, et des chômeurs pour des IEM élevés. Ce résultat est expliqué par le fait que les centres-ville et leur banlieue alentour, qui sont des zones plus polluées (IEM fort), présentent une population hétérogène (à la fois beaucoup de riches et beaucoup de pauvres), alors que les zones périurbaines moins polluées (IEM moyen) sont habitées par des populations aisées. Néanmoins, il serait intéressant de comparer le cas de la région Île-de-France avec d’autres régions métropoles, afin de voir si elles présentent le même profil en termes de données socio-économiques et d’exposition.

• Enfin, les zones rurales [3] sont peu surexposées à différents types de pollution mais sont plus spécifiquement exposées à l’ammoniac, dont les rejets sont à corréler avec les activités agricoles (usage d’engrais azotés). La population y est plutôt âgée, avec un niveau de vie médian. On peut établir une corrélation entre inégalités d’exposition et inégalités sociales au sein des zones rurales, notamment par le prisme de l’âge : les zones rurales à fort IEM ont en moyenne des populations jeunes et vivant sous le seuil de pauvreté, et les zones rurales à IEM faible regroupent des populations plus âgées et plus aisées. 

Les limites

La note de France Stratégie fait aussi l’état des différents obstacles inhérents à l’étude des liens entre santé et environnement. Elle évoque l’inégale disponibilité des données d’exposition environnementale, diverses d’un territoire à un autre, et des données sociales et de santé, distribuées plus abondamment sur le territoire. Cette hétérogénéité ne permet donc qu’un diagnostic partiel et localisé, et peut conduire à généraliser un raisonnement à partir d’un cas spécifique, ce que la note décrit comme un « sophisme écologique ». Cette réflexion peut s’étendre au champ des études épidémiologiques, où il est difficile de croiser géographiquement des cas cliniques recensés et les pollutions pouvant induire ces maladies. Cette incertitude conduit à parler de « risques avérés ou suspectés de maladies » et non de « risques sanitaires ». Enfin, bon nombre de pollutions ne font à ce jour pas encore l’objet d’un suivi continu ou d’une réglementation. Si l’on y ajoute les effets synergiques et cocktail entre polluants, ainsi que les effets retard sur l’organisme, on devine la complexité d’étudier les questions relatives à la santé environnementale.

En connaissance de ces limites, France Stratégie a tenté d’esquisser un premier diagnostic sur les inégalités environnementales et sociales. Les résultats énoncés viennent nuancer l’idée que les inégalités environnementales se juxtaposent de façon mécanique aux inégalités sociales selon les paramètres socio-économiques étudiés. Finalement, le principal enjeu soulevé par la note est d’étudier ces phénomènes à l’échelle des territoires dans le but d’y mener des actions de prévention dédiées en tenant compte des spécificités locales.

  1. Le chiffre précise le diamètre des particules en cause : PM2,5 désigne des particules dont le diamètre est de 2,5 microns ; PM10, des particules dont le diamètre est de 10 microns.

  2. Territoires de plus de 50 000 habitants.

  3. L’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) définit les zones rurales comme des communes de moins de 5 000 habitants.

#Indicateurs #Inégalité sociale #Pollution #Territoires

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