L’accord sur le climat adopté à Paris en décembre 2015, à l’issue de la 21e conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (COP21), fixe un objectif ambitieux à la planète : une augmentation de la température de l’atmosphère terrestre inférieure à 2 °C (et proche si possible de 1,5 °C). Peut-on envisager des systèmes énergétiques soutenables, « décarbonés », dans les villes, compte tenu de leur poids démographique et économique ? C’est à cette question que tente de répondre ce rapport de l’AIE.
AIE (Agence internationale de l’énergie), « Energy Technology Perspectives 2016: Towards Sustainable Urban Energy Systems », AIE / OCDE, juin 2016, 418 p.

La première partie du rapport dresse un bilan, en deux chapitres, de la transition énergétique et de la situation des villes. L’accord de Paris impose d’accélérer la mise en œuvre de technologies énergétiques « propres », c’est-à-dire n’émettant pas de CO2. L’AIE a privilégié depuis plusieurs années un scénario dit « 2 °C » (à la limite de l’objectif fixé à Paris), qui suppose que la production d’électricité soit totalement assurée en 2050 par des filières n’utilisant pas de combustibles fossiles, et de limiter leur consommation de façon à ne pas émettre plus de 1 000 gigatonnes de CO2 (avec des émissions divisées au minimum par deux). L’AIE est relativement optimiste sur les possibilités d’atteindre cet objectif. Elle note ainsi, avec satisfaction, qu’en 2015 le seuil du million de voitures électriques en circulation dans le monde a été franchi, que la croissance de la puissance installée d’électricité d’origine renouvelable s’est poursuivie, ainsi que celle du nucléaire et, enfin, que le nombre de projets de capture et de stockage du CO2 va croissant (quelques installations pilotes fonctionnant). Un découplage entre l’économie et les émissions de CO2 semble aussi intervenir. Seule ombre au tableau : la consommation de charbon ne faiblit pas suffisamment.
Les six chapitres de la seconde partie du rapport sont consacrés au défi énergétique des villes, le dernier examinant le cas d’école du Mexique où 73 % de la population sont déjà urbanisés. Quelques chiffres suffisent à faire comprendre que le rôle des villes va être crucial : les deux tiers de la population mondiale devraient être urbanisés en 2050 (la moitié aujourd’hui) et celle-ci va croître de 62 %, l’essentiel de cette croissance ayant lieu dans les pays émergents ; les villes pourraient assurer 84 % du produit intérieur brut mondial en 2050 – et elles consommaient déjà 64 % de l’énergie primaire mondiale et émettaient 70 % du CO2 mondial en 2013.
L’AIE estime que les efforts de la transition énergétique doivent porter en priorité sur les bâtiments et le transport. Chaque ville est un système énergétique qu’il faut caractériser avec des données pertinentes, et il est possible de « décarboner » son énergie en mobilisant des techniques innovantes et au prix d’une action conjointe des municipalités et des États. Pour les bâtiments (le tiers de la consommation d’énergie finale), le chauffage (un tiers de l’énergie) et la climatisation (5 %) sont les deux postes les plus importants, mais avec des variantes d’un pays à l’autre, sur lesquels doivent porter les efforts d’amélioration de l’efficacité énergétique et de réduction des émissions de CO2. Plusieurs pistes doivent être poursuivies : des bâtiments à consommation nulle d’énergie (un grand défi technique et financier) ; une intégration des bâtiments dans des districts pour réaliser des économies ; une densification de l’occupation des terrains ; une planification urbaine maniant la taxe foncière. La moitié du transport des personnes s’effectue en ville (soit, à l’échelle mondiale, 40 % de l’énergie de l’ensemble du secteur).
L’AIE faisant l’hypothèse d’un doublement du parc automobile d’ici 2050 (2,2 milliards d’automobiles en 2050 contre un milliard aujourd’hui), ce scénario n’est compatible avec l’objectif climatique que si l’on gagne en efficacité énergétique avec une électrification massive des moteurs, couplée avec l’utilisation de biocarburant ayant un bon bilan CO2 et de véhicules à deux ou trois roues. Il subsiste des verrous techniques importants, notamment pour les batteries électriques.
Une politique volontariste suppose aussi que les villes produisent une part plus importante de leur énergie et notamment de leur électricité (celle-ci passerait de 22 % à 33 % dans la consommation finale en 2050). Leur potentiel d’énergie solaire serait important (elle pourrait assurer, théoriquement, 30 % de la consommation d’électricité en 2050), en équipant de panneaux solaires les toits et les terrasses : un objectif de 8 % de production d’électricité photovoltaïque est envisageable et on pourrait l’accroître par la cogénération, en utilisant la chaleur résiduelle de centrales, et d’installations de traitement des eaux et des déchets. Ceci suppose la mise en place de réseaux électriques intelligents pour la distribution et le pilotage.
L’AIE souligne que « les zones urbaines sont au cœur de la transition vers une énergie durable ». À la lecture de son rapport, très documenté, on se rend compte que la croissance des villes, en particulier en Asie et en Afrique, constitue un défi énergétique considérable. L’AIE appelle à une coordination des États et des collectivités territoriales, avec la mise en place de marchés du carbone dans le cadre d’une planification urbaine. Le rapport est relativement optimiste quant à la disponibilité des techniques, mais sans véritablement recenser les verrous techniques qu’il faut faire sauter et sans chiffrage clair des coûts. Il a l’avantage de montrer que le dossier ville-énergie-climat sera, sans doute, à l’ordre du jour de plusieurs conférences des États signataires de la convention des Nations unies sur le climat.