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Des paroles aux actes

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 422, jan.-fév. 2018

Les longues soirées d’automne sont propices à la lecture. J’en ai profité pour me replonger dans des ouvrages ayant fait autorité voici 40 ou 50 ans et m’interroger sur les actions qui avaient suivi ces travaux souvent de grande qualité. Ces actions ayant été très insuffisantes, beaucoup donc reste à faire avant que l’éventail des futurs possibles ne se referme, et il est urgent de nous y atteler. Comme nous venons d’entrer dans une année nouvelle, j’adresse à nos lecteurs nos meilleurs vœux mais attire aussi leur attention sur la responsabilité qui nous incombe de devenir nous-mêmes les acteurs des changements que nous voulons voir intervenir.

Parmi les domaines dans lesquels nous avons pris un retard dramatique figure évidemment la sauvegarde de notre environnement, sujet auquel j’ai été sensibilisé très tôt par mon père, Bertrand de Jouvenel, dont le rôle pionnier en matière d’écologie politique est bien connu [1]. Dans leur remarquable anthologie, Dominique Bourg et Augustin Fragnière montrent bien que la dégradation de la nature est un problème aussi vieux que l’humanité, et rappellent à juste titre que de nombreux auteurs s’en sont préoccupés dès les XVIIIe et XIXe siècles [2]. Mais un tournant majeur est intervenu à la fin des années 1960, au début des années 1970, avec de nombreuses publications et, en 1972, la première conférence internationale sur l’environnement (à Stockholm). Au cours de celle-ci furent déjà soulignées les dégradations infligées à l’écosystème par notre modèle de développement et donc ses limites, thème qui sera largement repris notamment par le premier rapport au Club de Rome [3].

La plupart des enjeux étaient alors déjà bien identifiés, même si la liste des problèmes n’a cessé ensuite de s’allonger en y intégrant notamment le changement climatique auquel nous avons accordé, dans la revue Futuribles, une large place. Ces problèmes ont, depuis plusieurs décennies maintenant, été abondamment étudiés. Nous savons grossièrement à quoi nous en tenir et quelles conséquences catastrophiques pourraient résulter de la poursuite des tendances actuelles si nous n’engagions aucune action pour les infléchir. Des actions dont les effets ne pourraient intervenir qu’à long, très long, terme et qu’il eût été urgent donc d’entreprendre le plus tôt possible. Or nous n’avons rien fait, ou si peu. La dernière conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP23), qui s’est tenue à Bonn en novembre, est tristement révélatrice des atermoiements des parties, sans même mentionner la politique irresponsable des États-Unis sous l’influence de leur président Donald Trump.

Je prends un deuxième exemple de notre inertie, relatif cette fois à un problème, que l’on fait mine de redécouvrir régulièrement, et encore actuellement sous l’effet de l’arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses du baby-boom : je veux parler du vieillissement démographique et, plus précisément, de l’avenir des retraites. Il était aisément compréhensible que la pyramide des âges en France se déformait sous l’effet des variations de la natalité (succession du baby-boom et du baby-krach) et de l’avance en âge de générations qui vivent toutes de plus en plus longtemps. La France est donc confrontée, comme tous les autres pays européens, à un vieillissement démographique, donc à un accroissement de la proportion des personnes de 65 ans ou plus.

Son régime de retraite (un maquis, hélas, de plusieurs dizaines de régimes) fonctionne principalement par répartition (régime de base et régimes complémentaires). Il est assez simple de comprendre que sa pérennité et sa performance dépendront : d’une part, du rapport entre le nombre d’actifs occupés et cotisants, et celui des inactifs allocataires, notamment des personnes âgées ; d’autre part, du taux de croissance économique, celle-ci jouant notamment sur le volume d’emplois et les salaires. Nous avons montré à plusieurs reprises, dans Futuribles [4] et dans divers rapports de l’association Futuribles International [5], que les différentes réformes introduites jusqu’à présent étaient insuffisantes. Fondées notamment sur deux mythes, celui d’un regain important de croissance économique et celui d’un retour rapide à un niveau élevé d’emploi, ces réformes à caractère purement paramétrique ne pouvaient durablement dispenser la France d’une réforme structurelle plus profonde.

Nous y reviendrons plus en détail dans notre prochain numéro, mais force est de constater que mener une telle réforme systémique eût été plus aisé si elle avait été entreprise plus tôt. Pourquoi donc souffrons-nous tant de procrastination ? Certes, il est facile de critiquer et d’aucuns me rétorqueront qu’avant, il y avait d’autres urgences. C’est bien le problème de l’État (mais non de lui seul) qui n’inscrit à son agenda les questions que lorsqu’elles sont devenues brûlantes et qui se trouve alors acculé à une fonction de pompier plutôt que de stratège. Il me semble urgent que l’appareil d’État se dote d’une réelle capacité prospective dans sa double dimension : l’anticipation et la vision, qui sont les conditions même de l’action. Mais il n’y a pas que l’État. À tous les niveaux, le développement de ces capacités est essentiel.



[1] Jouvenel Bertrand (de), Arcadie. Essais sur le mieux-vivre, Paris : SEDEIS (coll. Futuribles), 1968, ouvrage dont une nouvelle édition est parue en 2002 (Paris : Gallimard), préfacée par Dominique Bourg.

[2] Bourg Dominique et Fragnière Augustin, La Pensée écologique. Une anthologie, Paris : Presses universitaires de France, 2014.

[3] Meadows Dennis et Donella, Behrens William, Ranger Jørgen, The Limits to Growth, New York : Universe Books, 1972 (traduction française : Halte à la croissance ?, Paris : Fayard, 1973).

[4] Voir, par exemple, mon éditorial « L’avenir des retraites » ; et Bichot Jacques, « Sauver les retraites complémentaires », Futuribles, respectivement n° 338, février 2008 ; etn° 406, mai-juin 2015.

[5] Voir Un essai de prospective sur les retraites en France à l’horizon 2040 ; et Jouvenel Hugues (de) et Parant Alain, L’Avenir du système français de protection sociale, Paris : Futuribles International respectivement (Travaux et recherches de prospective n° 14), octobre 2001 ; et 2013.

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