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Démographie en France : conséquences pour l’action publique de demain

Analyse de rapport

La parution de cette note de l’Institut Montaigne est intervenue après l’entrée en vigueur, en France, de la réforme des retraites et à la veille des débats attendus autour du projet de loi sur l’immigration, dont un des points de friction est la régularisation possible des travailleurs sans papiers dans les secteurs en tension. Elle se propose de prendre un peu de hauteur par rapport à la houle des débats, en évaluant la situation démographique de la France à l’horizon 2070, dans le but de mieux comprendre les évolutions à venir de la population et leurs conséquences sur les comptes publics.

Tertrais Bruno, « Démographie en France : conséquences pour l’action publique de demain », Note d’éclairage, août 2023, Institut Montaigne, 34 p.

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Un état des lieux macroéconomique

Dans une première partie, la note s’appuie sur l’analyse de deux facteurs principaux influençant les courbes démographiques :

  • Une tendance au vieillissement, en ligne avec le reste du continent européen.

Depuis l’an 2000, la croissance des décès est plus rapide que celle des naissances. L’excédent naturel, c’est-à-dire la différence entre décès et naissance, est au plus bas depuis 1945 (+ 56 000). Cet affaiblissement est lié à la baisse de l’indice de fécondité qui se situe désormais à 1,8 enfant par femme — alors que le seuil de renouvellement des générations se situe à 2 enfants par femme. Parallèlement, avec l’allongement de la durée de vie, le vieillissement de la population s’accentue : la part des personnes de 65 ans ou plus est passée de 17,1 % à 21,3 % en 10 ans.

L’Institut Montaigne rappelle cependant que ces tendances sont partagées avec une majorité des pays européens, la France témoignant d’une progression plus lente de son vieillissement et d’une décroissance de la natalité moins rapide qu’en Italie ou en Allemagne, par exemple. L’auteur insiste par ailleurs sur le fait que ce vieillissement s’accompagne d’une amélioration globale de l’espérance de vie sans incapacité depuis 2010.

  • Une forte augmentation de la population étrangère depuis 10 ans.

La note s’intéresse ensuite à la croissance de la population étrangère en France. Celle-ci atteint aujourd’hui 7,7 % de la population globale, soit 5,3 millions de personnes étrangères parmi lesquelles 4,5 millions d’immigrés (personnes nées étrangères à l’étranger) et 800 000 étrangers nés en France. Le nombre annuel de titres de séjour est supérieur à 200 000 depuis 10 ans et a dépassé le seuil des 300 000 en 2022. L’immigration qui était plutôt issue d’Europe dans les années 1970 est désormais majoritairement originaire d’Afrique. En 2022, 10,9 % de la population est d’origine immigrée récente (immigrée ou enfant d’immigré) et la croissance de la population (+ 217 000) est due pour les trois quarts à cette immigration. Sur le plan économique, la balance coût / bénéfice de ce phénomène est jugée peu profitable pour les comptes publics. La contribution de l’immigration au produit intérieur brut (PIB) serait notamment plus faible en France que dans les autres pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) : + 1,02 % contre + 1,56 %.

Une approche prospective limitée

La note se poursuit par une seconde partie dite « prospective ». Elle s’appuie essentiellement sur une estimation d’évolution de la population de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) construite sur le prolongement des tendances démographiques actuelles, qui correspond au scénario central de l’institut. Sur la base de cet unique scénario, il ressort que l’excédent naturel aura disparu en 2035. Le déclin de la population ne sera évité que par le recours à l’immigration, avec un solde migratoire constamment égal à + 70 000 entre 2021 et 2070. Le vieillissement de la population se poursuivrait donc en passant de 21 % à 29 % de la part des 65 ans ou plus d’ici à cet horizon, avec une augmentation notable de la part des 75 ans ou plus.

L’analyse (uniquement macroéconomique) des conséquences de ces évolutions est pour le moins pessimiste : sur le plan économique, le déclin de la population active annoncé à partir de 2040 conduirait à l’aggravation de la pénurie de main-d’œuvre que nous connaissons d’ores et déjà. Si le poids du budget de l’Éducation nationale est amené à baisser du fait de la réduction du nombre d’enfants, les dépenses de santé publiques et privées devraient logiquement augmenter du fait du vieillissement. Du côté des comptes sociaux, le solde de la protection sociale, excédentaire jusqu’en 2019, serait, dans ce scénario, déficitaire de 4,5 points de PIB en 2040, du fait notamment d’une augmentation de 3,5 points liée aux dépenses de retraite.

On en arrive ainsi à ce qui semble être l’objet principal de cette note : quels seront les impacts de ces évolutions démographiques sur les retraites ? Ici l’auteur ne s’embarrasse pas de beaucoup d’hypothèses possibles : les effets d’une éventuelle politique nataliste sont jugés vains, le seuil du solde migratoire à + 70 000 est sans efficacité sur les comptes publics à moyen terme, il faudrait qu’il soit bien plus élevé pour que son effet soit sensible, mais la solution semble écartée, et de conclure : « La France s’apprête à connaître un déclin de sa population que seule l’immigration pourrait combler à court et moyen termes. Cette compensation, cependant, restera limitée et l’impact du vieillissement sur les politiques publiques […] pèsera nécessairement sur les choix politiques et sociaux qu’auront à arbitrer les décideurs publics dans les mois et années qui viennent. » Cette conclusion qui n’offre aucune alternative semble destinée à préparer les esprits à une inéluctable nouvelle réforme du système de retraite.

On peut regretter que cette note soit construite sur un scénario d’évolution unique établi sur le seul prolongement de tendances démographiques actuelles. Comme l’indique Futuribles, la prospective n’est « ni prophétie ni prévision », elle « n’a pas pour objet de prédire l’avenir […] mais de nous aider à le construire ». Ici l’avenir semble tout tracé suivant les projections centrales de l’INSEE. Dans le rapport de l’Institut Montaigne, si les hypothèses d’une politique nataliste, ou d’une augmentation plus nette du seuil migratoire sont rapidement discutées, il semble que cela ne soit fait que dans le but de les écarter comme de possibles leviers d’action…

Par ailleurs, l’Institut Montaigne adopte une lecture macroéconomique qui ne donne pas à voir les situations différentes selon les catégories de population ou les secteurs d’activité. C’est par exemple le cas concernant l’indicateur d’espérance de vie sans incapacité. Les différences socioprofessionnelles qui peuvent exister sur ce point ne sont pas évoquées — notamment le fait qu’un ouvrier vit en moyenne six ans de moins qu’un cadre et vit également plus d’année avec une incapacité. En outre, la note suppose en conclusion que cette variable de l’espérance de vie sans incapacité accrue va se maintenir d’ici 2070, ce qui n’est pas certain. Les Nations unies ont ainsi fait état en 2022 d’une baisse de l’espérance de vie notable dans les pays de l’OCDE. Si les investissements dans le système de santé continuent de se réduire et que la pénibilité du travail particulièrement élevée en France perdure, il est possible que la courbe de l’espérance de vie sans incapacité s’inverse.

Concernant l’immigration, l’analyse pourrait également être plus ouverte. Ainsi, des données des Nations unies montrent que si le nombre d’immigrés accueillis en France a progressé de 36 % entre 2000 et 2020, cette progression était de 75 % en Allemagne, 121 % dans les pays nordiques et 181 % en Europe du Sud, le solde migratoire que la note positionne à + 70 000 n’est sans doute pas aussi figé que cela. Une analyse du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) parue en juin 2023 souligne par ailleurs que la contribution de l’immigration au PIB évolue selon son niveau de qualification ; cette variable n’est pas envisagée non plus.

Enfin, on notera qu’il n’est fait à aucun moment référence à l’automatisation comme variable qui pourrait influer positivement sur les comptes publics en augmentant la productivité ou en réduisant la pénibilité, permettant ainsi d’améliorer l’espérance de vie en bonne santé.

La lecture macroéconomique des tendances démographiques que propose cette note mériterait assurément d’être enrichie de l’analyse de plusieurs variables supplémentaires pour offrir une vision réellement prospective.

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