Que peuvent bien raconter deux rondelles de 45 grammes de viande hachée, de cheddar et de « sauce spéciale » sur l’évolution des prix à l’échelle mondiale ? Selon le magazine The Economist, les écarts de prix du burger montrent comment l’inflation a modifié la quantité de biens et de services que les monnaies peuvent acheter. Les dernières mesures publiées fin août 2023 indiquent d’importantes disparités à l’échelle mondiale.
Une détérioration du pouvoir d’achat à géométrie variable
Bien qu’il ne soit pas destiné à être une mesure précise du flottement des monnaies, l’indice Big Mac (créé en 1986) est aujourd’hui largement reconnu, y compris dans les travaux académiques. Le raisonnement sous-jacent est simple, la « burgernomie » — c’est-à-dire la quantité de ressources et le temps de travail nécessaire à la confection du Big Mac de McDonald’s — étant la même à travers le monde, si le prix du Big Mac augmente dans un pays, la monnaie de ce pays ne permet plus d’en acheter autant, sa valeur réelle a donc baissé ; et inversement. En juillet 2023, le prix du Big Mac est passé à 5,58 dollars US aux États-Unis, soit une augmentation de plus de 4 % depuis janvier (8,3 % sur un an). Il s’agit du taux de « McFlation » le plus élevé enregistré dans l’indice depuis 2012, ce qui suggère la persistance de l’inflation dans le pays, à tout le moins sur les produits alimentaires.
Par rapport au reste du monde, cependant, les Américains s’en sont tirés à bon compte. De janvier à juillet, le prix d’un Big Mac a augmenté plus de deux fois plus vite dans la zone euro et en Grande-Bretagne, et près de quatre fois plus vite au Canada. Qu’est-ce que cela signifie ? En clair, que le pouvoir d’achat de ces monnaies baisse plus vite que celui du dollar US. Si l’on admet que cette mesure puisse être le reflet d’une tendance macroéconomique de plus grande envergure, cet écart entre la monnaie de référence et les autres pourrait avoir plusieurs conséquences.
Une inflation durable ?
À défaut de restaurer la compétitivité de leur monnaie — par des hausses de taux directeurs, par exemple — certains pays devront payer plus cher leurs importations. C’est par exemple le cas du Japon dont la monnaie a perdu 13 % de sa valeur depuis le début de l’année. Le passage du yen en dessous du seuil psychologique de 150 yens par dollar US, jusqu’ici considéré comme indépassable par la Banque du Japon, expose l’économie nippone — qui importe 90 % de son énergie et la majeure partie de ses denrées alimentaires — à de fortes hausses de coûts dans les prochains mois. Et la sortie de la spirale inflationniste sera obérée par l’endettement abyssal de Tokyo : 266 % de son produit intérieur brut début 2023. Le problème est que ce surendettement, comparable à celui de nombreux pays dans le monde, est de nature à limiter les marges de manœuvre de la banque centrale qui ne peut apporter que des corrections marginales — et / ou temporaires — sous peine de créer une crise de la dette.
Ainsi, malgré un resserrement monétaire sans précédent en 50 ans, tant aux États-Unis qu’en Europe, il est difficile de savoir si ces mesures seront suffisantes pour « refroidir » l’économie et atteindre — puis tenir durablement — l’objectif d’une inflation à 2 %. Les dettes élevées conjuguées aux perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales et aux dépenses inévitables liées à la défense, au climat et au vieillissement de la population, pourraient suggérer que nous nous orientons vers un nouvel équilibre. Il est possible que les banquiers centraux, bien qu’affichant leurs objectifs inflationnistes, puissent manifester une certaine hésitation à adopter des politiques suffisamment rigoureuses pour les atteindre. De là à envisager, comme The Economist, que le taux de 4 % d’inflation devienne la nouvelle norme et remplace les 2 % ? Cette hypothèse s’appuie désormais sur quelques solides arguments.