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La géo-ingénierie peut-elle sauver le climat ?

L’accord de Paris sur le climat de décembre 2015 engageait ses signataires à diminuer fortement leurs émissions de gaz à effet de serre, notamment de CO2, avant 2050, puis à les éliminer, afin de contenir le réchauffement climatique, depuis le début de l’âge industriel, en deçà de 2 °C, voire 1,5 °C, d’ici à la fin du siècle. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a publié un rapport, quelques semaines avant la 24e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP24 de Katowice, début décembre 2018), qui examine la faisabilité de scénarios climatiques limitant à 1,5 °C le réchauffement climatique. Il souligne que ceux-ci supposent non seulement des transformations profondes des systèmes économiques et sociaux (modes de transport et de production de l’électricité, n’utilisant pas les combustibles fossiles, modification des systèmes agricoles, etc.), mais aussi des processus pour capter le CO2 et le stocker et, éventuellement, pour diminuer le flux d’énergie solaire parvenant sur Terre. Les climatologues désignent souvent par le terme générique de « géo-ingénierie » (le GIEC évite de le faire) les techniques que l’on pourrait mettre en œuvre dans ces processus.

Il existe de fait une vaste panoplie de techniques, utilisées ou non. Les plus directes consistent à augmenter la quantité de CO2 que l’on peut capter dans l’atmosphère grâce à la photosynthèse qui produit de la biomasse. L’afforestation (le boisement d’une surface dépourvue d’arbres depuis très longtemps) est une mesure simple mais qui peut entrer en concurrence avec les usages agricoles de la terre. Les techniques dites de bioénergie sont aussi envisageables : la biomasse (des céréales ou la lignocellulose) est utilisable soit directement (une combustion), soit, après transformation biochimique, comme combustible (dans des centrales thermiques) ou biocarburant (sous forme de bioéthanol, par exemple), mais à condition de capter le CO2 émis lors de la combustion et de le stocker sous différentes formes. Une alternative est de produire du biochar, un amendement agricole issu de la pyrolyse de biomasse (elle est chauffée à haute température à l’abri de l’oxygène pour obtenir un goudron), qui peut être mélangé à la terre pour enrichir les sols.

Il reste à stocker le CO2 et c’est un point clef. Le problème se pose à la sortie des moteurs thermiques (ceux de centrales électriques, principalement, ou de fours industriels). Les techniques de captage sont connues et relativement au point, mais encore coûteuses (environ 100 euros la tonne) : on peut utiliser des membranes dans le flux d’effluents d’une centrale ou des amines qui fixent le CO2, il faut ensuite le transporter pour le stocker, par exemple dans un site géologique sûr (pour éviter qu’il ne s’échappe) et donc à grande profondeur (un premier test de stockage est réalisé en Norvège sous son plateau continental). L’absence de données géologiques suffisantes sur des lieux de stockage proches des centres industriels mondiaux est un sérieux handicap. Il existe plusieurs variantes pour ce stockage du CO2 : soit le liquéfier, voire le faire passer en phase supercritique (à très haute pression), et l’injecter dans l’océan par grand fond (3 000 mètres), soit le transformer en carbonates utilisables comme matériaux de construction.

Les océans (70 % de la surface de la planète) absorbent environ le tiers des émissions de CO2), ce qui contribue à leur acidification. Ils sont un champ d’action important, dans la mesure où on peut envisager d’accroître la masse de CO2 absorbée en augmentant la production de plancton par photosynthèse par fertilisation (la masse de plancton tombe au fond de l’océan, sans acidifier l’océan). De nombreuses campagnes océanographiques, au large des Kerguelen notamment, ont été réalisées pour ensemencer artificiellement l’océan avec du sulfate de fer, les résultats n’ont jamais été probants.

L’autre volet de la géo-ingénierie, consistant à diminuer le flux solaire parvenant dans l’atmosphère ou à la surface de la Terre, est infiniment plus complexe à mettre en œuvre. La solution la plus simple est d’augmenter l’albédo du sol (son pouvoir réfléchissant), par exemple en évitant le labourage profond des sols agricoles, en peignant en blanc les toitures et les terrasses ou en recouvrant des glaciers, des déserts ou des portions d’océan avec des surfaces réfléchissantes. On peut douter de l’efficacité de cette solution appliquée à l’échelle planétaire.

Il reste alors à envisager des techniques plus complexes. La plus radicale serait de mettre un réseau de miroirs géants en orbite géostationnaire autour de la Terre, ils renverraient vers l’espace une partie du rayonnement solaire, une solution qui ne serait pas sans risque, en cas de mauvaise orientation des miroirs, et coûteuse. Les autres solutions seraient mises en œuvre dans l’atmosphère. La première viserait à augmenter artificiellement la réflexion d’une partie de la lumière par des aérosols (des gouttelettes) injectés dans la stratosphère (des éruptions volcaniques, comme celle du mont Pinatubo, en projetant des poussières ont « filtré » la lumière, provoquant une baisse de la température terrestre). L’utilisation de l’acide sulfurique, ou de particules d’oxyde de titane ou d’aluminium, est souvent évoquée. Ces aérosols devraient être injectés périodiquement par des fusées ou, plus vraisemblablement, par des avions. Il serait probablement nécessaire de mobiliser une flotte de plusieurs centaines d’avions pour employer cette technique dont les effets ne sont pas connus (notamment sur la couche d’ozone et la santé), le calibrage du diamètre des particules serait sans doute un paramètre important.

Une deuxième technique, a priori plus simple, consisterait à vaporiser du sel marin, ou d’autres particules, dans les nuages de basse altitude au-dessus des océans afin d’augmenter la nucléation de gouttelettes réfléchissant la lumière (un effet constaté sur le trajet de bateaux). Elle nécessiterait une flotte spécifique.

Enfin, une troisième technique parmi d’autres viserait à amincir les cirrus (des nuages de haute altitude qui sont des filaments blancs constitués de cristaux de glace) en les ensemençant avec des particules pour qu’ils réfléchissent davantage la lumière. Aucune donnée expérimentale ne permet de savoir si elle serait efficace.

Ces techniques de géo-ingénierie posent un grand nombre de questions, notamment éthiques (de quel droit peut-on modifier l’environnement terrestre ?), auxquelles il n’y a pas de réponses, le rapport du GIEC est d’ailleurs réservé sur leur utilisation. En effet, l’efficacité de la plupart d’entre elles est très douteuse et leurs effets secondaires inconnus (notamment l’utilisation d’aérosols et leur impact loin de leur lieu d’émission). Qui plus est, la plupart de ces techniques devraient être mises en œuvre à une échelle planétaire dans un cadre multilatéral, en respectant les conventions internationales (notamment le droit de la mer). La géo-ingénierie n’apportera probablement pas de solution au problème du climat.

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Sources :
Lawrence Mark G. et alii, « Evaluating Climate Geoengineering Proposals in the Context of the Paris Agreement Temperature Goals », Nature Communications, vol. 9, n° 3734, octobre 2018. URL : https://www.nature.com/articles/s41467-018-05938-3 ; Special Report: Global Warming of 1.5 °C, Genève : GIEC, 2018. URL : http://www.ipcc.ch/report/sr15/ ; Carlson Colin J. et Trisos Christopher H., « Climate Engineering Needs a Clean Bill of Health », Nature Climate Change, vol. 8, septembre 2018, p. 843-845. Consultés le 6 décembre 2018.

#Climat #Environnement #Technologie de pointe

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