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Appui à la mise en œuvre des pratiques agroécologiques dans l’espace CEDEAO

Ce texte est issu du Forum prospectif de l’Afrique de l’Ouest. Ce forum agit comme catalyseur des réflexions existantes sur le futur. Associant recherche, publications et débats, il a vocation à devenir un lieu de construction d’une réflexion sur les futurs possibles de l’Afrique occidentale et sahélienne qui conduise à l’action.

Dans la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), la sécurité alimentaire reste une préoccupation majeure des autorités politiques. Cela tient notamment au fait que l’agriculture faiblement mécanisée y reste étroitement dépendante des variations pluviométriques. Ces variations affectent les productions agricoles et pastorales des pays de la façade atlantique. Dans les pays enclavés (Mali, Niger, Burkina), l’impact des retards de pluie se fait sentir durant la période de soudure [1] : il retarde la croissance des animaux et provoque des pertes de têtes de bétail. Avec les retards de pluie, les stocks alimentaires ne se reconstituent pas suffisamment ; par conséquent, ils s’épuisent plus rapidement en période de soudure, ce qui détériore la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans l’espace sahélien. Dans les zones affectées, les populations se déplacent et puisent dans les stocks d’autres zones dans lesquelles, de fait, l’insécurité alimentaire s’accroît. Par ailleurs, les augmentations saisonnières des prix sur les marchés limitent l’accès des ménages pauvres à l’alimentation.

Ces baisses des stocks alimentaires pourraient s’accentuer à l’horizon 2030 et 2050 sous l’effet d’un double phénomène. D’une part, l’accroissement attendu des populations [2] va accentuer la pression foncière déjà vive dans certaines zones [3] ; les morcellements du foncier pourraient affecter les rendements qui doivent pourtant croître pour supporter l’expansion démographique. D’autre part, les impacts des changements climatiques devraient influencer le régime pluviométrique et se traduire par une multiplication des événements extrêmes [4]. Ces changements pourraient affecter négativement les activités agricoles et d’élevage, qui restent essentielles pour les sociétés ouest-africaines : en Afrique de l’Ouest, l’agriculture familiale produit encore environ 90 % des denrées alimentaires et emploie près de 60 % des actifs.

Aujourd’hui, un nombre croissant d’experts et de praticiens suggèrent que l’agroécologie peut répondre aux enjeux de sécurité alimentaire et de préservation de l’environnement dans la CEDEAO. Le recours aux pratiques agroécologiques pourrait s’accompagner d’un double dividende, écologique et productif. En effet, l’agroécologie ré́pond à̀ deux principes fondamentaux [5] :

1) Celui de la pleine valorisation du potentiel des écosystèmes, à la fois en termes de captation de ressources externes abondantes (gaz carbonique, azote, énergie solaire, eau, et minéraux du sous-sol) et en termes de stimulation de processus et flux physiques, chimiques et biologiques, internes à l’écosystème (notamment le recyclage de la biomasse). Cette valorisation permet de satisfaire des objectifs de production à la fois quantitatifs et qualitatifs (qualité́ nutritionnelle, sanitaire, gustative) et des objectifs de régularité́ et d’autonomie en matière d’utilisation d’intrants et d’énergie externes au système. La pleine valorisation contribue ce faisant à des objectifs de sécurité́ alimentaire et de génération de revenus.

2) celui de la protection, l’amélioration, voire la restauration des agroécosystèmes (fertilité́ des sols et disponibilité́ en eau) et de fourniture de bénéfices divers pour l’environnement (biodiversité́, absence de contaminations, etc.) et d’adaptation et d’atténuation des impacts du changement climatique.

Pour faciliter la montée en puissance des pratiques agroécologiques, il appartient aux promoteurs de la démarche de bien identifier sur le terrain les contraintes et problèmes rencontrés par les agriculteurs de la sous-région. Selon eux, les principaux problèmes rencontrés sont :

– le faible degré d’adéquation des pratiques agroécologiques aux objectifs des agriculteurs,

– le manque de connaissances et savoir-faire,

– la faible production et utilisation de matière organique,

– un besoin supérieur en travail,

– une difficulté d’accès au foncier et aux ressources naturelles,

– l’absence de politique publique de soutien,

– et un environnement économique peu favorable à l’écoulement des produits [6].

Pour mieux comprendre les difficultés et vérifier les capacités de mise en œuvre des pratiques agroécologiques, différents projets pilotes sont engagés. Ils reçoivent l’appui de la CEDEAO, de ses États membres, mais aussi des bailleurs de fonds et des organisations de la société civile.

Ainsi, engagé en 2016, le projet Agroécologie en Afrique de l’Ouest [7] se concentre sur les régions de Fatick au Sénégal, de l’Est au Burkina Faso et des Savanes au Togo. Ces zones ont en commun d’être 1) essentiellement utilisées pour la culture de céréales ; et 2) touchées par des problèmes de dégradation des terres agricoles, une pluviométrie irrégulière et une dégradation des ressources naturelles. Le projet doit contribuer à mettre à disposition des praticiens, des instances politiques et des institutions de coopération, et un ensemble de références technico-économiques, sociales et environnementales relatives aux techniques d’agroécologie. Il doit également faciliter le repérage des freins et leviers au développement des projets d’agroécologie. Ce projet a notamment reçu le soutien de l’Agence régionale pour l’agriculture et l’alimentation de la CEDEAO (ARAA) [8], d’universités et d’organisations non gouvernementales.

Plus récemment, le Projet d’appui à la transition agroécologique en Afrique de l’Ouest (PATAE) [9], initié en 2018 et financé à hauteur de 8 millions d’Euros par l’Agence française de développement (AFD) vise principalement à accompagner la transition agroécologique en Afrique de l’Ouest. Il consiste en un financement de projets de terrain soutenant l’intensification agroécologique et les échanges d’expériences dans le but de contribuer à l’élaboration de politiques publiques et d’aides techniques adaptées, deux autres problèmes majeurs qui entravent encore son développement. D’une durée de quatre ans (2018-2022), il concerne le Burkina Faso, la Côte-d’Ivoire, le Mali, le Sénégal et le Togo. Il est mis en œuvre sous la coordination de l’ARAA avec l’assistance technique de l’AVSF, l’Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement (IRAM) et l’Institut africain pour le développement économique et social (INADES Formation).

Mesures politiques d’accompagnement du changement : diagramme schématique et organisation des politiques publiques en faveur de l’agroécologie en France

Source : OEP (Osservatorio Europeo del Paesaggio), The Various Approaches of Agro-ecology in the Different Countries. Synthesis of the National Reports (Austria – France – Italy – Lithuania – Slovenia), Euro-EducATES, 2017, p. 100. URL : http://biodistretto.net/wp-content/uploads/2018/05/1_b_National_Reports_Agroecology_Synthesis.pdf. Consulté le 5 avril 2019.

Ces différentes initiatives seront utiles pour convertir les agriculteurs ouest-africains à ces nouvelles techniques qui demeurent marginales en Afrique de l’Ouest. Le partage d’expériences, l’accompagnement et l’encadrement par les politiques publiques pourraient en effet faciliter leur diffusion. Mais, pour certains, elles sont vécues comme un retour en arrière qui exige encore plus de travail manuel. Au regard des expériences d’agroécologie conduites dans les pays développés, les aides financières aux agriculteurs devraient judicieusement compléter les efforts engagés pour diffuser ces pratiques désormais plébiscitées dans les institutions politiques. Mais les États ouest-africains auront-ils les moyens nécessaires pour soutenir durablement cet effort de recherche agronomique, construire un cadre réglementaire et légal favorable, et proposer les aides techniques et financières dans la durée ?

 


[1] La soudure est la période qui sépare la fin de la consommation de la récolte de l’année précédente et l’épuisement des réserves des greniers, de la récolte suivante.

[2] Parant Alain et Hommel Thierry, « La fenêtre démographique en Afrique de l’Ouest, une ouverture différée », Analyse prospective, n° 220, 26 février 2019, Futuribles International. URL : https://www.futuribles.com/fr/document/la-fenetre-demographique-en-afrique-de-louest-une-/. Consulté le 5 avril 2019.

[3] Selon Sourisseau Jean-Michel et alii, il s’agit de l’une des préoccupations majeures des populations dans la région de Ségou, au Mali. Cf. leur étude « Penser ensemble l’avenir d’un territoire. Diagnostic et prospective territoriale au Mali et à Madagascar », AFD (Agence française de développement), 2017. URL : https://www.afd.fr/fr/penser-ensemble-avenir-territoire. Consulté le 5 avril 2019.

[4] Voir le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), Global Warming of 1.5 °C, Genève : GIEC, 2018. URL : https://www.ipcc.ch/sr15/. Consulté le 5 avril 2019.

[5] Levard Laurent et Mathieu Bertrand, Agroécologie : capitalisation d’expériences en Afrique de l’Ouest. Facteurs favorables et limitants au développement de pratiques agroécologiques. Évaluation des effets socio-économiques et agro-environnementaux, Agronomes vétérinaires sans frontières (AVSF), février 2018. URL : https://www.alimenterre.org/system/files/ressources/pdf/1106-rapport-etude-calao-2018-web-avsf-gret-cedeao.pdf. Consulté le 5 avril 2019.

[6] GTAE (Groupe de travail sur les transitions écologiques), Agroécologie : méthodes pour évaluer ses conditions de développement et ses effets. Actes de l’atelier d’échanges et construction méthodologique, 14-15 décembre 2017, AFD, 2018. URL : https://www.avsf.org/public/posts/2245/actes_gtae_fr_agroecologie_methodes_evaluation.pdf. Consulté le 5 avril 2019.

[8] Site Internet http://www.araa.org/fr

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