Quatre mois après la fin de la COP21, quelles sont les avancées et les perspectives de la transition énergétique en France et en Europe ? Futuribles a sollicité huit personnalités pour en débattre : Jacques Theys, Éric Vidalenc, Alain Grandjean, Corinne Lepage, Philippe Bihouix, Nadia Maïzi, Michel Colombier et Marc Roquette. Cliquez ici pour accéder à l’ensemble des contributions.
Un outil au service de l’Union européenne pour dynamiser son économie et dépasser ses engagements COP21
Ou comment l’impôt sur l’énergie peut permettre à l’Union européenne (UE) d’atteindre l’excellence en matière de transition énergétique, d’efficacité énergétique et d’économie circulaire
Dans son livre Thermodynamique de l’évolution, François Roddier explique que toute l’évolution du monde est une auto-organisation vers des éléments qui dissipent de plus en plus d’énergie, mais qui simultanément stockent de plus en plus d’informations et font émerger l’intelligence [1]. Il ne faut donc pas s’étonner qu’avec l’humanité on assiste à deux explosions simultanées : une explosion de conscience et de connaissances, et une explosion de consommation d’énergie. Ces deux explosions sont intimement liées (consubstantielles) et découlent des lois de la thermodynamique.
Vigueur inouïe de l’innovation
Il y a déjà plusieurs années, le Medef attirait l’attention des entrepreneurs sur l’importance de l’innovation, en indiquant que les connaissances scientifiques et techniques de l’humanité doublaient tous les sept ans (+ 10 % par an), soit des connaissances multipliées par 13 780 entre 2000 et l’an 2100. Cette explosion de connaissances se caractérise par une vigueur inouïe.
Le « challenge » de l’humanité
Le vrai défi de l’humanité, à l’étape actuelle de son évolution, est d’utiliser cette explosion de conscience et de connaissances pour rapidement :
– Sortir des énergies fossiles qui desequilibrent l’effet de serre et dissipent une énergie stockée dans la planète Terre, que celle-ci ne sait pas évacuer et qui, en conséquence, réchauffe les océans.
– Atteindre l’excellence en matière d’efficacité énergétique.
– Développer l’économie circulaire.
En atteignant tous ces objectifs, l’humanité se réinsèrerait dans l’équilibre thermodynamique de la Terre, comme elle le faisait naturellement avant la première révolution industrielle, et assurerait ainsi sa pérennité.
Impact sur la compétitivité de l’industrie de l’UE
Dès que l’on évoque l’impôt sur l’énergie, on observe une levée de boucliers, l’argument mis en avant étant que cela nuira à la compétitivité de l’industrie européenne. Or, c’est oublier que l’UE, dans le cadre de la politique agricole commune, a fait la démonstration que l’on peut surcharger fortement un facteur de coût important d’une industrie sans affecter la compétitivité de celle-ci. C’est ainsi que, dans l’UE, l’industrie des grains (blé, orge, maïs) s´est développée pendant plus de 30 ans avec des prix pour ces céréales deux à trois fois plus élevés que sur le marché mondial. Ceci n’a été rendu possible que grâce à un mécanisme de corrections aux frontières de l’UE : les restitutions à l’exportation et les prélèvements à l’importation sur les produits transformés des céréales.
Loi de Pareto
Il apparaît ainsi tout à fait possible que l’UE instaure l’impôt sur l’énergie, en appliquant au secteur de l’énergie le mécanisme des restitutions à l’exportation et des prélèvements à l’importation. Cela peut être fait de manière simplifiée en s’appuyant sur la loi de Pareto, c’est-à-dire en limitant l’application du mécanisme aux 20 % de produits à haute intensité énergétique qui représentent 80 % de la consommation d’énergie.
Un impôt unique pour toutes les énergies ?
L’objectif de favoriser l’efficacité énergétique et l’économie circulaire semble être bien servi par la fixation d’un impôt unique par MWh (mégawattheure) d’énergie primaire, qui s’applique aussi bien aux énergies fossiles qu’au nucléaire et aux énergies renouvelables (électricité et biomasse). Pour fixer les idées, on peut imaginer, afin d’instaurer cet impôt progressivement, qu’il soit de 2,5 euros par MWh pour la première année et qu’il augmente d’un montant identique chaque année pendant les 19 années suivantes, pour se stabiliser à 50 euros du MWh. On notera qu’avec l’impôt unique sur l’énergie, l’électricité fossile et l’électricité nucléaire sont trois fois plus taxées que l’électricité renouvelable, car cette dernière est dans tous les cas primaire (transformation directe d’une énergie noble, que ce soit le vent, la gravité, avec les barrages hydroélectriques, ou les rayons solaires, en une autre énergie noble, l’électricité), alors que pour l’électricité fossile ou nucléaire, il faut d’abord produire 3 MWh primaires de chaleur sous forme de vapeur pour récupérer 1 MWh d’électricité (loi de Carnot). L’impôt unique sur l’énergie favorise la transition énergétique. On constatera que l’impôt unique sur l’énergie présente aussi l’avantage de ne pas gêner l’utilisation de l’électricité renouvelable, que l’on stocke difficilement et dont la ressource peut être abondante (un hectare de panneaux photovoltaïques produit considérablement plus d’énergie qu’un hectare de biomasse), en substitution de la biomasse (bois et biogaz). La biomasse « énergie » doit être utilisée avec parcimonie en raison de la concurrence des autres usages (alimentation, matériaux, construction, chimie du végétal). La biomasse se stocke facilement et ne devrait être utilisée en énergie que comme secours pendant les périodes où l’électricité renouvelable est produite en quantité insuffisante.
L’impôt unique sur l’énergie ne s’appliquant pas aux déchets, il favorisera une valorisation énergétique des déchets qui ne peuvent plus être recyclés et empêchera leur abandon dans les villes, la campagne ou les océans (« septième continent de plastique »).
Une surtaxe variable sur les énergies fossiles ?
L’urgence climatique en matière de gaz à effet de serre, la nécessaire comptabilisation des externalités négatives, ainsi que l’objectif de stabiliser la rentabilité des investissements dans les énergies renouvelables dans l’Union européenne justifient une surtaxe sur les énergies fossiles, en sus de l’impôt sur l’énergie, sauf bien entendu si le CO2 émis est capté et stocké. Cette surtaxe compenserait la différence entre le cours mondial de ces énergies et un prix plancher, fixé à un niveau qui pourrait être équivalent à 120 dollars US le baril.
Neutralité fiscale pour le consommateur
Ce n’est pas parce que les États de l’UE vont prélever l’impôt sur l’énergie et la surtaxe sur les énergies fossiles qu’ils doivent dépenser plus. Ces impôts doivent provoquer une baisse d’un montant équivalent d’autres impôts ou servir à financer un éventuel revenu universel.
Un alignement des astres en matière d’impacts favorables de l’impôt sur l’énergie
L’impôt sur l’énergie permet :
1) De développer un modèle énergétique plus efficace que celui d’aujourd’hui. En effet, les technologies actuelles en matière d’énergies renouvelables, d’efficacité énergétique et de procédés circulaires, et l’explosion des connaissances technologiques en cours permettent de quitter sans regrets l’ancien monde et de s’engager avec confiance dans la transition énergétique pour faire émerger un nouveau monde plus performant, y compris sur le plan du coût économique de son volet énergétique. L´impôt sur l’énergie et la surtaxe peuvent être décidés par l’UE, indépendamment de ce que font les autres pays ou groupes de pays. On peut penser, compte tenu des avantages générés par l’impôt sur l’énergie, que l’UE sera rapidement imitée, y compris par les États-Unis, et que l’exemplarité de l’UE sera le moteur d’une transition énergétique au niveau de la planète. Dans l’hypothèse où tous les États de l’Union européenne ne souhaiteraient pas adhérer dès le début à cet impôt, une mise en place partielle pourrait être envisagée, comme cela a été fait pour l’euro, pour contourner l’obstacle de la règle de l’unanimité en matière fiscale.
2) La sortie quasi totale de l’UE des énergies fossiles et nucléaires avant 2050.
3) Le doublement au minimum, voire le triplement, de l’efficacité énergétique dans l’UE avant 2050.
4) Le développement de l’économie circulaire (les procédés de production circulaire ont la particularité de consommer beaucoup moins d’énergie que leur équivalent linéaire), ce qui d’ailleurs vient totalement sécuriser l’objectif du point 3.
5) La concrétisation d’une avance de l’UE dans toutes les technologies du nouveau monde.
6) La simplification de l’action des États de l’UE pour réussir la transition énergétique, l’efficacité énergétique et l’économie circulaire.
7) Le financement des investissements nécessaires par les particuliers et les entreprises.
8) L’élimination de la pollution atmosphérique dans les villes.
9) L’élimination du risque de marée noire et d’incident nucléaire.
10) L’indépendance énergétique.
11) Des villes, campagnes et océans plus propres en raison de la revalorisation énergétique des déchets non recyclés.
12) Une attractivité de l’UE pour les investisseurs internationaux en raison de la clarté et cohérence de la vision, et de l’assurance d’un environnement économique prévisible.
En synthèse, l’impôt sur l’énergie rend possibles le respect des engagements de la COP21, et surtout le développement d’une économie plus performante en phase avec le nouveau monde qui émerge. L’impôt sur l’énergie sera probablement un pilier essentiel de la fiscalité de ce nouveau monde.
[1] Thermodynamique de l’évolution. Un essai de thermo-bio-sociologie, Paris : Parole éditions, 2012.