Dans bon nombre de scénarios énergétiques, l’énergie éolienne figure en bonne place pour la production d’électricité en compagnie de l’énergie solaire et de l’hydroélectricité. Alors que l’Allemagne, le Danemark et la Chine ont développé à un bon rythme cette filière, pourquoi son essor accuse-t-il un net retard en France par rapport à de nombreux pays ? C’est à cette question que veulent répondre les auteurs de ce livre (Jean-Yves Grandidier est un ingénieur qui construit des parcs éoliens et Gilles Luneau, un journaliste spécialiste des questions environnementales).
La première partie du livre, qui en comporte quatre, est consacrée aux objectifs de la transition énergétique et de son enjeu électrique. Les auteurs rappellent que les ménages français sont les plus gros consommateurs européens d’électricité (4 300 kilowattheures par an par ménage), et que la production électrique française (531 térawattheures en 2016, une pointe de consommation correspondant à une puissance de 88,5 gigawatts en 2017) est à 75 % d’origine nucléaire (marginale en 1970) et assurée à environ 20 % par des énergies renouvelables (hydraulique, éolien, solaire et biomasse). Les auteurs décrivent en détail, et très clairement, les filières éoliennes (terrestre et offshore), solaires et hydraulique. Ils constatent que la France est très en retard sur ses objectifs de mise en œuvre de l’éolien offshore (aucun parc prévu ne fournit le moindre kilowattheure), le coût de production de l’électricité par cette filière est certes relativement plus élevé que par la filière terrestre (il faut ancrer les mâts des éoliennes sur un support au fond de la mer ou les ériger sur une plate-forme flottante qui est, elle aussi, ancrée), mais en mer les vents sont plus réguliers que sur terre et la capacité de production d’un parc plus importante (on envisage pour le futur des éoliennes géantes avec des pales de 180 mètres de diamètre).
Les deux filières éoliennes ont la faveur des auteurs car elles pourraient « porter » la transition énergétique, la France disposant d’un « gisement » de vent très important (elle pourrait installer probablement 60 gigawatts d’éolien terrestre et 30 gigawatts d’offshore). Ils ne négligent pas pour autant les autres filières ; ils décrivent ainsi le fonctionnement des filières solaires produisant soit directement de l’électricité avec des cellules photovoltaïques, soit de la chaleur convertie en électricité via une turbine ou fournissant de l’eau chaude sanitaire (cette filière dite thermique, très économique, est sous-utilisée en France). Ils rappellent enfin que la méthanisation de déchets, agricoles notamment, est un moyen économique de produire du biogaz qui peut alimenter une turbine à gaz ou un gazoduc (solution là encore peu mise en œuvre en France, pourtant un pays agricole…).
Ils concluent cette première partie en soulignant qu’il est « urgent de bien faire », c’est-à-dire de sortir des énergies fossiles pour accélérer la transition énergétique et faire face au défi climatique. Ils déplorent ce qu’ils considèrent comme des erreurs de planification de la politique énergétique, le premier choc pétrolier de 1973 ayant conduit les gouvernements de l’époque à accorder une priorité à la production électrique par le nucléaire et de fait, estiment-ils, à une surproduction d’électricité. Leur analyse est un peu partielle, ou partiale, car s’il est vrai qu’EDF a incité les ménages à privilégier le chauffage électrique, qui est loin d’être le plus économique, il faut constater que la France bénéficie d’un courant électrique le moins cher d’Europe (privilège qu’elle partage avec la Bulgarie) et qu’elle bénéficie d’une plus grande indépendance énergétique que ses voisins.
La deuxième partie du livre est consacrée à ce que les auteurs appellent le « sabotage des énergies renouvelables », c’est-à-dire les tracasseries législatives et administratives qui accumulent les obstacles sur la voie des énergies renouvelables, en particulier pour les filières éoliennes, et freinent considérablement leur décollage en dépit des objectifs ambitieux fixés par le Grenelle de l’environnement (2007) et par les gouvernements successifs. Leur liste est longue pour l’éolien : règles de construction draconiennes, règle dite des cinq mâts (il fallait au moins cinq mâts d’éoliennes pour obtenir une autorisation de construction pour un projet), protection des oiseaux, contraintes aéronautiques (notamment militaires), oppositions de Météo-France craignant un brouillage de ses radars, recours multiples devant les tribunaux administratifs (émanant notamment d’associations écologistes), etc. Les contraintes ont été partiellement allégées mais tous les freins, souvent excessifs (ils ont généralement pour origine des idées reçues qui sont fausses, celles par exemple leur attribuant le massacre d’oiseaux et de chauves-souris), n’ont pas été relâchés.
Ces obstacles n’ont pas empêché, cependant, la transition de se mettre en marche comme le montrent les auteurs dans la troisième partie de leur livre. Le vent capté par les éoliennes serait, soulignent-ils, un moyen d’activer la démocratie locale car de nombreux parcs éoliens sont réalisés à l’initiative de citoyens et de collectivités territoriales avec, souvent, des financements participatifs (crowdfunding). Ils observent toutefois qu’il faudra résoudre le problème du stockage de l’électricité qui se pose d’ailleurs pour toutes les filières renouvelables (davantage sans doute pour la filière solaire car les éoliennes ont l’avantage de tourner en soirée aux heures de pointe…) et qui est dans une certaine mesure leur talon d’Achille.
La transition énergétique est aussi une transition institutionnelle soulignent les auteurs dans la quatrième et dernière partie de leur livre. De nouveaux métiers vont émerger et s’il existe désormais des marchés de l’énergie, il faudra réinventer un service public de l’énergie adapté à la transformation des filières énergétiques ; sans doute, pourraient-ils ajouter, avec une dimension européenne. Les énergies renouvelables font bouger les lignes d’horizon concluent-ils : une nouvelle géopolitique de l’énergie va émerger, un nouveau monde électrique va modifier la production et les usages de l’électricité. Il faut donc s’y préparer.
Ce livre est un plaidoyer bien documenté pour le développement des énergies renouvelables et en particulier de la filière éolienne. Les arguments des auteurs sont souvent convaincants, notamment lorsqu’ils listent les obstacles qui se sont dressés sur la route des éoliennes (l’actuel gouvernement a d’ailleurs reconnu qu’il était nécessaire de les écarter). La filière éolienne terrestre a franchi le cap de la maturité technique et économique dans de nombreux pays, et elle pose moins de problèmes industriels que la filière solaire qui, en Europe, a été balayée par le dumping chinois. On reprochera sans doute aux auteurs de décrire trop rapidement le nouveau monde électrique qui émerge et qui pose un grand nombre de questions scientifiques, techniques, industrielles et économiques qui sont loin d’être résolues, mais on lira avec intérêt cet ouvrage qui est une bonne contribution au débat sur la transition énergétique.