Lorsque l’on parle de catastrophes naturelles, on pense souvent aux tremblements de terre, aux inondations, ou encore aux feux de forêt dont les images spectaculaires font l’ouverture des journaux télévisés. Or, il se joue sous nos pieds l’accélération d’un phénomène cumulatif, lent et encore peu présent dans le débat public : le retrait-gonflement des argiles (RGA). Il se caractérise par une succession d’épisodes de sécheresse et de réhumidification des sols argileux, qui présentent des structures différentes selon leur teneur en eau. Un sol argileux est dur et cassant lorsqu’il est asséché (retrait), et malléable lorsqu’il est humide (gonflement). L’allongement des épisodes de sécheresse et la raréfaction des épisodes de pluie, liés au changement climatique, déséquilibrent ce cycle, et risquent de générer dans les années à venir de plus en plus de mouvements de terrain préjudiciables pour le bâti et les routes.
Les dégâts à venir du RGA en France
Autrefois localisé dans l’Île-de-France, l’Occitanie ou encore la région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur), le phénomène s’étend désormais sur l’ensemble du territoire français. En 2021, près de 48 % du territoire est en zone d’exposition forte ou moyenne au RGA [1], et environ 10,4 millions de maisons individuelles sont potentiellement très exposées au RGA selon le ministère de l’Écologie.
La Caisse centrale de réassurance (CCR) estime, dans une étude de 2018, qu’avec le changement climatique, les dommages consécutifs à ce qu’elle nomme la « sécheresse géotechnique », pour évoquer le RGA, augmenteraient sur tout le territoire d’ici 2050, notamment dans une large moitié sud et sur tout le littoral atlantique (carte ci-dessous), avec une progression de 20 % à 200 % d’ici 2030, et de 50 % à 300 % d’ici 2050.
Évolution des dommages annuels moyens dus à la sécheresse géotechnique à l’horizon 2050
Source : Conséquences du changement climatique sur le coût des catastrophes naturelles en France à horizon 2050, CCR / Météo France, septembre 2018, p. 26.
L’accélération du risque RGA pose un enjeu majeur pour une multitude d’acteurs. Les désordres sur les infrastructures routières invitent les gestionnaires à rendre les routes plus résilientes pour assurer la sécurité des usagers. Les collectivités territoriales jouent un rôle de prévention par des actions de communication, des aides financières ou la prise en compte du risque RGA dans l’entretien des bâtiments. De la construction à la vente d’un bien immobilier, les différents acteurs de la filière sont impliqués dans la prévention du risque via le dispositif ELAN (Évaluation du logement, de l’aménagement et du numérique). Depuis 2018, il impose, entre autres, au vendeur d’informer l’acquéreur d’un terrain non bâti de l’existence du risque RGA. Cela passe par la réalisation d’une étude géotechnique du sol conçue pour émettre des recommandations au constructeur. Cependant, ces préconisations techniques ne sont pas toujours respectées ni contrôlées.
Pour les sinistrés, les conséquences préjudiciables causées par le RGA sur les habitations individuelles donnent lieu à une indemnisation des dégâts dans le régime des catastrophes naturelles dit « Cat Nat ».
Le régime Cat Nat et sa pérennité
Instauré en 1982, Cat Nat est un système d’assurance mixte entre les sociétés d’assurance et les pouvoirs publics. Il permet d’indemniser les assurés en cas de dégâts causés par une catastrophe naturelle. L’état de catastrophe naturelle doit être constaté par un arrêté interministériel qui détermine les communes touchées par l’aléa, ainsi que les périodes durant lesquelles il a eu lieu. La garantie Cat Nat permet une prise en charge des frais de démolition des biens assurés, de nettoyage et de désinfection des locaux sinistrés [2]. L’aléa du RGA pèse de plus en plus dans le système Cat Nat, près de 40 % de la sinistralité tous périls (sur 1980-2020), soit l’équivalent de 15,5 milliards d’euros. C’est le deuxième poste de la sinistralité le plus important derrière les inondations.
En février 2022, est publié un rapport de la Cour des comptes qui dresse un constat alarmant quant à la pérennité du régime Cat Nat vis-à-vis du risque RGA, régime jugé « inadapté ». La Cour invite l’État à réexaminer la qualification de RGA en catastrophe naturelle : « il ne s’agi[rait] pas d’un phénomène soudain, imprévisible, se déroulant dans un espace-temps délimité et limité » mais « d’un phénomène qui tend à devenir universel […] dont la survenance peut être anticipée ». La difficulté d’attribuer une date et un lieu complique le diagnostic par les experts en charge de reconnaître l’état de catastrophe naturelle, et donc l’attribution des indemnisations. Par conséquent, le taux de dossiers classés sans suite par les assureurs est « bien plus élevé » pour les RGA que pour les inondations (de 15 % à 20 %), bien qu’il n’existe pas de chiffres officiels. Ainsi, si le RGA n’est pas retenu comme une catastrophe naturelle, une sortie du régime pourrait être envisagée.
Et si les RGA sortaient du régime Cat Nat ?
Dans le cas d’une sortie du régime, la Cour a identifié trois scénarios d’évolutions :
— Premièrement, l’idée d’un régime assurantiel pur, sans soutien des pouvoirs publics. Mais cette idée est jugée trop coûteuse pour le contribuable et génératrice d’inégalités entre les assurés. L’expansion généralisée de l’aléa sur l’ensemble du territoire limiterait également son assurabilité.
— Deuxièmement, l’éventuelle transformation du dispositif actuel vers des aides ciblées sur l’amélioration de l’habitat, financées par des crédits publics et mises en œuvre par l’Agence nationale de l’habitat. Cette mesure pourrait viser en priorité les ménages les plus défavorisés, mais entraînerait une croissance importante de la dépense publique ainsi qu’un lourd transfert administratif du secteur assurantiel vers un établissement public national, aujourd’hui centré sur le dispositif « MaPrimRenov’ ». Il convient de se demander si la prise en charge des travaux préventifs et de réparation serait suffisante au regard de l’ampleur du risque.
— Enfin, la Cour envisage la piste d’un système de recours direct à l’indemnisation sans reconnaissance préalable de l’état de catastrophe naturelle. Cette trajectoire est la moins en rupture avec le dispositif en place mais présente des inconvénients sur « les effets de rattrapage à prendre en considération et les coûts correspondants » que la Cour ne développe pas.
La Cour juge ces scénarios peu « réalisables », mais ne s’aventure pas non plus à formuler de véritable piste de réforme. Elle avance « qu’une clarification préalable des axes de réforme en cours de discussion est nécessaire avant toute refonte du dispositif d’indemnisation » et que « c’est la raison pour laquelle elle ne formule pas de recommandations portant sur l’indemnisation ». Elle insiste néanmoins sur l’importance des politiques de prévention du risque et des contrôles pour endiguer ce phénomène. Cela passerait par un renforcement de l’expertise et de la recherche-développement), permettant d’améliorer le diagnostic et d’établir des critères spécifiques au RGA pour les constructions existantes et à venir.
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Sécheresse géotechnique. De la connaissance de l’aléa à l’analyse de l’endommagement du bâti, Paris : Mission risques naturels, décembre 2018. ↑
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Les dommages corporels ne sont en revanche pas couverts et font l’objet d’un autre contrat d’assurance (contrat individuel accident, garantie accidents de la vie…). ↑