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La Fin de l’Europe ? L’Union au défi du Brexit

Analyse de livre

Publié peu de temps après le vote britannique, le livre n’y consacre qu’une attention limitée. Son objectif est plus global : il veut montrer à quel point le projet européen est menacé, ce qui est fort utile pour faire prendre conscience à l’opinion de la situation très risquée dans laquelle nous sommes placés en matière de construction européenne, à cause non pas du Brexit, mais des fragilités qui se sont accentuées au cours des dernières années, tant dans la faiblesse des politiques internes, qu’en raison de la montée des menaces aux périphéries de l’Europe.

LACOSTE Olivier, « La Fin de l’Europe ? L’Union au défi du Brexit », Eyrolles, juin 2016, 168 p.

De ce point de vue, ce livre vient au bon moment. En effet, il est grand temps d’expliquer à une opinion désorientée où se trouvent les défauts du système européen et à quel point il est urgent de leur apporter des remèdes efficaces, ce qui n’a vraiment pas été le cas au cours des dernières années. L’auteur, qui le connaît bien, montre pour l’expliquer de réelles qualités pédagogiques.

Cependant, le livre tout à fait remarquable d’Olivier Lacoste base sa première partie sur une démonstration assez peu convaincante. Sans être injustifiée, sa critique des excès bureaucratiques de l’Union européenne (UE) reprend trop souvent des clichés vraiment très classiques. Jugée trop réglementariste par les Britanniques et trop libérale par les Français, l’UE est trop souvent évaluée à partir de conceptions strictement nationales, sinon nationalistes. Il semble que l’on ne sache pas quelle est la part des législations qui émanent de l’UE : Jacques Delors avait cité le chiffre de 80 %, d’autres se limitent à 10 %. Il est surprenant que sur ce point essentiel, aucune étude précise n’ait été réalisée.

Si l’Europe a succombé à l’« inflation de la norme », elle est en bonne compagnie. En légiférant avec moins de 20 000 fonctionnaires pour un ensemble de plus de 500 millions d’habitants, elle est la plus exposée aux critiques, mais pas la plus coupable. La décentralisation et même la subsidiarité ont aussi contribué à la frénésie réglementaire. Si l’Europe n’est pas en reste, c’est une tendance lourde de notre société, qu’il s’agisse du code de la route, de la lutte contre le tabagisme ou de l’environnement. Pourquoi donc l’accuser seule, alors que beaucoup de décideurs publics des pays de l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) ont succombé à la même tendance ? Ce qui est problématique n’est pas la production de normes, mais la faiblesse des politiques, ce que souligne à juste titre Olivier Lacoste.

De même, il n’existe pas beaucoup de pays développés qui n’ont pas cherché à réduire le poids de l’État dans la vie économique. Il se trouve que l’UE a joué dans ce domaine un rôle éminent, parce que cette politique a coïncidé avec la construction du marché unique. Là encore, les États membres ont trouvé bien commode d’accuser l’UE de faire ce qu’ils auraient dû réaliser de toute manière, puisque tous les pays de l’OCDE ont suivi une évolution parallèle.

Après les excès bureaucratiques, Olivier Lacoste reprend le thème aussi classique du déficit démocratique. Si son existence n’est pas contestable, plutôt que de stigmatiser l’UE, qui est ce que les États membres ont voulu qu’elle soit, il faudrait avoir une approche comparative, ce déficit démocratique n’étant pas inconnu dans nos pays. On ne peut reprocher à la Cour de justice ou à la Banque centrale européenne (BCE) de ne pas être élue(s) sans rappeler qu’en France, c’est exactement la même chose s’agissant du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la banque centrale, comme aussi bien de la Banque d’Angleterre, si on veut se référer à un pays parfois jugé plus démocratique que la France. En citant la cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui reproche au Parlement européen son manque de démocratie parce que les petits pays y disposent d’un minimum de six représentants, indépendamment de leur population, alors qu’au Bundesrat, chaque Land dispose d’un nombre égal de représentants quel que soit son poids démographique, l’argumentation ne convainc pas : aux États-Unis, pays pourtant démocratique, la Californie, avec ses 37 millions d’habitants, a deux sénateurs, autant que le Wyoming qui n’a que 564 000 habitants.

À juste titre, Olivier Lacoste évoque le véritable problème : comment permettre à la Commission européenne de ne plus être composée de membres nommés par les États membres, et dans quelles conditions permettre au Parlement européen d’acquérir tout ou partie du droit d’initiative comme les Parlements nationaux. À cette question essentielle, longuement débattue dans tous les pays passés au fédéralisme, notamment les États-Unis, la Suisse et l’Australie, il n’y a qu’une seule réponse : permettre aux citoyens d’élire directement, à chaque niveau de gouvernement, des représentants chargés de légiférer sur les compétences confiées à chacun de ces niveaux et en mesure de contrôler un exécutif responsable devant eux. Aussi longtemps que l’on cherchera à contourner cette option, on construira des « usines à gaz » plus ou moins complexes et insuffisamment démocratiques.

Il ne serait pas équitable de terminer cette recension sans souligner la qualité de la deuxième partie, qui propose des analyses bien documentées et synthétiques sur des problèmes complexes et difficiles à présenter.

Enfin, la troisième partie esquisse des propositions intéressantes, qui auraient dû inciter à donner un autre titre à l’ouvrage : plutôt que « La fin de l’Europe », « L’Europe inachevée » aurait été plus représentatif de son contenu.

#Cadre institutionnel #Démocratie #Union européenne