Le numéro 456 de la revue Futuribles porte assez largement sur l’évolution des valeurs, plus spécifiquement sur la valeur travail et sur les aspirations d’une majorité d’Européens à pouvoir travailler à distance, que ce soit à leur domicile ou dans des tiers-lieux. Mais plusieurs études récentes révèlent qu’un certain nombre d’entreprises — principalement aux États-Unis pour l’instant —, après avoir encouragé cette pratique lors de la pandémie de Covid, font marche arrière.
Selon la BBC, l’entreprise Zoom elle-même, qui a connu une ascension exceptionnelle lors du confinement en permettant à de très nombreux salariés de télétravailler via sa plate-forme de visioconférence, a demandé à ses salariés de revenir au bureau : elle estime qu’une « approche hybride structurée » est plus efficace et que « les personnes vivant à moins de 80 kilomètres d’un bureau devraient travailler en présentiel au moins deux fois par semaine ». Ce cas n’est pas isolé ; d’autres entreprises vont même plus loin.
Tel est le cas de Google dont la directrice des ressources humaines, Fiona Cicconi, écrit dans une note : « la présence sera vérifiée grâce aux données enregistrées sur les badges. Ceux qui ne viendront pas seront rappelés à l’ordre et la présence au bureau sera prise en compte dans l’évaluation des performances. » Même mouvement chez Amazon, Disney et Tesla qui demandent à leurs employés d’être présents au moins trois jours par semaine. Pourquoi ?
De récentes études, notamment de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), ont montré que le télétravail à 100 % nuisait à la productivité des salariés, que celle-ci atteint un pic avec deux jours de télétravail. À l’issue d’une enquête menée en ligne auprès de dirigeants et d’employés de 25 pays, l’organisation affirme « qu’une forte adoption du télétravail et une productivité élevée ne sont pas incompatibles », mais que cette dernière augmente tant que le télétravail se limite à un ou deux jours par semaine et qu’au-delà, elle décline.
Plusieurs observations découlent des travaux les plus récents en la matière :
• D’abord le fait que les personnes qui ont eu le plus recours au télétravail sont évidemment des personnes travaillant dans les services, plutôt dans les grandes entreprises que dans les petites ou moyennes (PME), qu’elles sont plus qualifiées que les autres et qu’il s’agit majoritairement de femmes.
• Ensuite, le télétravail permet à ceux qui le souhaitent de mieux concilier activité professionnelle et vie privée, bien que la durée du travail à domicile tende à s’allonger.
• Enfin, l’OCDE, après avoir rappelé l’essor très important du télétravail lors de la pandémie, se garde bien d’en conclure que cette pratique se généralisera. Elle rappelle que cela dépendra des avantages et des inconvénients du télétravail, pour les travailleurs comme pour les entreprises qui, si elles y recourent, devront adapter leur organisation et notamment « veiller à ce que le personnel d’encadrement dispose des compétences et des outils nécessaires pour coordonner efficacement les tâches et communiquer ; prêter une attention particulière à la créativité, aux séances de réflexion, à la résolution de problèmes et à l’apprentissage informel ; et faciliter le réseautage, les relations entre équipes et la cohésion, quel que soit le lieu de travail ».
En France, le télétravail s’est moins développé que dans les autres pays industrialisés (les salariés français travailleraient 0,6 jour par semaine alors qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni, les salariés travaillent respectivement 1,4 et 1,5 jour par semaine [1]. Il est donc possible (même en l’absence de pandémie) qu’il se développe encore — avant d’être confronté aux mêmes réserves de la part des entreprises ?
Sources : « Le télétravail pendant la pandémie de Covid-19 : tendances et perspectives », OCDE, 21 septembre 2021 ; Criscuolo Chiara et alii, « The Role of Telework for Productivity During and Post Covid‑19 », Économie et statistique, n° 539, 2023, p. 51-72 ; Bergeaud Antonin, Cette Gilbert et Drapala Simon, « Telework and Productivity Before, During and After the Covid‑19 Crisis », Économie et statistique, n° 539, 2023, p. 73-89.
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Selon une étude rapportée par Les Échos, 16 août 2023. ↑