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Quel impact le changement climatique aura-t-il sur la santé au travail ? 

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Les effets du changement climatique (canicules, pénuries d’eau…) étant de plus en plus visibles d’année en année, le sujet de ses conséquences sur la santé humaine et la biodiversité s’est progressivement imposé comme une préoccupation majeure. Cette note de veille propose de faire le point sur l’évolution des risques professionnels au regard du dérèglement climatique et des moyens mis en œuvre pour leur prévention.   

Jusqu’à cette année 2023, à l’exception de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), en 2018 et de l’OIT (Organisation internationale du travail), en 2019, peu d’instituts s’étaient emparés du sujet de l’impact du changement climatique sur les conditions de travail. Il a fallu attendre le sixième rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), paru en 2022, pour voir la question des risques professionnels abordée. À la suite de quoi, en 2023, plusieurs instituts ont consacré des études à ce sujet, témoignant ainsi d’une prise de conscience nouvelle et d’une volonté politique d’adapter les conditions de travail à l’évolution climatique afin de prévenir une possible dégradation de la santé des travailleurs.  

Des risques déjà connus qui pourraient augmenter…

Les travaux scientifiques, rapportés par France Stratégie dans une note d’analyse sur le sujet, publiée en juin 2023, indiquent tous que le stress thermique induit par la chaleur entraîne une augmentation de la fatigue pouvant aller jusqu’à l’épuisement. Il peut également causer coups de chaleur, malaises ou déshydratation. L’état de fatigue peut être associé à une baisse de la vigilance et de la concentration, à une augmentation des temps de réaction, ou encore à des troubles de la vision ou de l’humeur. Toutes ces altérations de la santé peuvent augmenter les risques d’accident lorsqu’elles sont ressenties durant des activités professionnelles potentiellement dangereuses (conduite, manutention, intervention sur des machines…).

À plus long terme, une exposition régulière à des températures excessives est mise en cause dans la survenue de lésions ou de maladies rénales, voire de cancers cutanés, lorsque le travailleur est exposé aux rayons ultraviolets (UV). Ces risques sont naturellement plus élevés s’ils s’ajoutent à d’autres facteurs (difficulté de la tâche, état de santé fragile ou âge avancé, précarité économique, environnement de travail toxique…). 

Enfin, la chaleur peut avoir des conséquences plus indirectes sur la sécurité et la santé des travailleurs, en raison des possibles effets sur les environnements et équipements de travail. Les avaries de matériel liées à la chaleur peuvent, par exemple, être à l’origine d’accidents de travail.  

  • La multiplication des phénomènes climatiques extrêmes constitue un deuxième type de risques liés au changement climatique. Incendies, tempêtes, orages, précipitations de grêlons : tous ces événements deviennent à la fois plus fréquents et interviennent dans des zones géographiques nouvelles. Leur caractère inhabituel peut surprendre les travailleurs et occasionner des accidents.  
  • Enfin, une troisième conséquence relève des modifications biologiques ou chimiques de l’environnement qui peuvent aussi avoir une incidence sur la sécurité et la santé des travailleurs. Apparition ou résurgence de bactéries ou virus, prolifération d’espèces animales, modification des propriétés de produits chimiques : tous ces phénomènes induits par le réchauffement peuvent constituer de nouveaux risques pour un certain nombre de travailleurs.  

Le rapport de France Stratégie souligne, enfin, qu’au-delà des préoccupations sanitaires, ces risques recouvrent également un enjeu économique pour les entreprises qui voient leur productivité baisser. Une étude conduite à l’échelle mondiale entre 2001 et 2020 estime ainsi que 650 milliards d’heures de travail seraient perdues, par an, du fait de l’évolution du climat. Une donnée qui constitue certainement un argument de poids pour que les acteurs économiques et politiques s’emparent du sujet. 

…auxquels s’ajouteront de nouveaux dangers

Dans un article paru en juin 2023 dans la revue Hygiène & sécurité du travail de l’INRS, Louis Laurent ajoute un élément assez peu mis en avant dans les autres publications. Il explique que les choix technologiques ou organisationnels effectués afin de lutter contre le changement climatique doivent être aussi pris en considération dans l’analyse des risques professionnels. Pour illustrer ce point, il cite deux exemples dans les secteurs de l’énergie et du bâtiment :  

  • Dans l’objectif de réduction des émissions de CO2, la production, le transport et la consommation d’énergie vont devoir évoluer, entraînant ainsi d’importantes mutations des activités et l’émergence de potentiels nouveaux risques liés au développement de nouvelles technologies (éolien, batterie lithium, méthaniseurs, usage de nanotubes…).
  • Le bâtiment, deuxième secteur émetteur de gaz à effet de serre (GES), va également devoir innover en matière de technique de construction et de rénovation. Le recours à de nouveaux matériaux et au recyclage, ou le changement d’organisation et de procédés vont nécessairement porter avec eux de nouveaux risques qui devront être analysés afin de mettre en place de nouvelles mesures de prévention.

Quelles seront les populations les plus touchées ?

    Dans son étude, France Stratégie a tenté d’établir une cartographie nationale des travailleurs qui seront les plus exposés, d’ici à 2050, en croisant l’évolution attendue des anomalies de chaleur estimée par département avec la répartition territoriale de l’emploi. Dans un premier temps, l’étude a établi une hiérarchisation des métiers actuellement les plus exposés aux fortes températures, sur la base des enquêtes Conditions de travail 2019 et Sumer 2017 de la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) (graphique 1). Sans surprise, les ouvriers du secteur du bâtiment-travaux publics (BTP) et les agriculteurs arrivent en tête de liste.  

    Les 23 métiers les plus exposés à une température élevée 

    Lecture : en 2019, 84 % des maraîchers, jardiniers et viticulteurs déclarent que leur travail (ou lien de travail) présente un inconvénient lié à une température élevée. Dans l’enquête Sumer de 2017, les salariés de ces métiers sont 73 % à déclarer « travailler en extérieur » et 12 % à déclarer « travailler au chaud, plus de 24 % imposé par le processus de production ».

    Source : Benhamou Salima et Flamand Jean, « Le travail à l’épreuve du changement climatique », Note d’analyse, n° 123,  juin 2023, p. 1, France Stratégie.

    Puis, les auteurs ont croisé ces données ainsi que celles de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) relatives à la concentration des métiers par zone d’emploi avec la carte des territoires qui seront les plus concernés par l’augmentation des anomalies de chaleur d’ici 2050. Ils ont ainsi obtenu une carte représentant les niveaux d’exposition des travailleurs à la chaleur selon la spécialisation professionnelle des zones d’emploi (voir ci-dessous).  

    Impact de la spécialisation professionnelle des zones d’emploi sur l’exposition des travailleurs à des températures élevées

    Lecture : dans la zone d’emploi de Saint-Junien en Nouvelle-Aquitaine, la composition professionnelle de l’emploi conduit ­— toutes choses égales par ailleurs ­— à une exposition des travailleurs à des températures élevées supérieures de 8 points à celle observée au niveau national. Elle fait partie des cent zones d’emploi de France métropolitaine où les journées anormalement chaudes augmenteraient le plus dans les trois prochaines décennies (2021-2050).

    Source : Benhamou Salima et Flamand Jean, op. cit., p.10.

    Il en ressort plusieurs constats : 

    • Parmi les 30 zones d’emploi les plus concernées par des expositions à la chaleur, neuf sont situées en Nouvelle-Aquitaine ou en Occitanie.

    • Les 20 zones d’emploi les moins exposées sont aussi celles qui concentrent le plus grand nombre de travailleurs (39 % des travailleurs français). Ceci s’explique par l’importance du secteur tertiaire dans ces zones. 

    • Ces résultats sont néanmoins à relativiser, du fait de la prise en compte, ici, du siège de l’entreprise comme lieu de travail. Le télétravail, s’il continue de se développer, pourrait constituer un facteur aggravant de cette exposition en raison de la mauvaise isolation fréquente des logements.  

Quelles politiques et mesures de prévention envisager ? 

À ce jour, le dispositif réglementaire visant à protéger les travailleurs de ces conséquences se limite à des plans d’actions nationaux qui s’inscrivent dans une logique de gestion des événements exceptionnels. Or, les événements climatiques dits « exceptionnels » étant amenés à devenir de plus en plus fréquents, la nécessité de proposer une réglementation plus structurelle s’impose. Les travaux du CESE (Conseil économique, social et environnemental) sur ce sujet, début 2023, ont par ailleurs démontré que les évaluations des risques — dont les employeurs ont l’obligation — ne prennent en compte les risques liés aux conditions climatiques que dans 20 % des cas. Au-delà de la prévention, le CESE constate également que l’indemnisation des arrêts de travail subis du fait de conditions climatiques reste extrêmement limitée.

Pourtant, les velléités de s’emparer de la question se manifestent depuis quelques années, notamment dans le cadre du quatrième Plan santé au travail (PST 4), paru en 2021, ou du Plan de prévention des accidents du travail graves et mortels, de 2022. Mais, comme l’a pointé l’avis du CESE, la question nécessite une analyse multifactorielle des risques qui devrait impliquer les acteurs de la prévention en santé publique, santé au travail et santé environnementale. Estimant qu’actuellement ces différentes sphères sont trop cloisonnées, le CESE préconise, entre autres, une meilleure articulation des plans nationaux sous l’égide d’un délégué interministériel.

Il faut cependant noter que des mesures visant à prévenir les risques professionnels liés au dérèglement climatique sont, d’ores et déjà, préconisées par les organismes de recherche en prévention des risques professionnels comme l’INRS et son homologue canadien l’IRSST (Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail), mais elles concernent essentiellement les risques liés à la chaleur.  

Un travail de recherche doit donc être conduit afin d’assurer la prévention des éventuels nouveaux risques que les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pourraient entraîner pour les travailleurs. C’est l’objectif que s’est fixé l’INRS avec une nouvelle thématique, inscrite à son plan stratégique 2023-2027, sur les effets possibles de la limitation des émissions de CO2 sur la santé au travail.  

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