Deux faits démographiques à forte portée symbolique ont marqué la Chine ces derniers mois : une diminution de sa population [1] et la perte du titre de pays le plus peuplé du monde, désormais détenu par l’Inde. Avec plus de 1,4 milliard d’habitants — soit quatre fois plus que les États-Unis, troisième dans le classement — la Chine reste un poids lourd dans la démographie mondiale, mais sa population vieillit.
En effet, en 2010, date à laquelle la population d’âge actif a atteint un pic — deux Chinois sur trois, soit 64 %, étaient âgés de 18 à 59 ans —, la part de population âgée était encore faible — 12 % étaient âgés de 60 ans ou plus. Mais en 2050, la part de personnes d’âge actif devrait tomber à 47 % et celle des personnes âgées grimper à 35 %.
Alors que son économie s’essouffle — avec une croissance de 3 % de son PIB (produit intérieur brut) en 2022, contre autour de 10 % en moyenne entre 1990 et 2010 —, la Chine fait face à des problématiques démographiques propres aux pays les plus développés : une très faible natalité, un vieillissement rapide et un déclin de sa population d’âge actif, qui surviendront à une vitesse inédite. En effet, dans aucun pays du monde — à l’exception notable du Japon et de la Corée du Sud — le vieillissement démographique n’a été ou ne sera aussi concentré dans le temps qu’en Chine. La part des 60 ans ou plus devrait y passer de 15 % à 30 % environ (soit un doublement) en 25 ans (2015-2040), donc dans un délai aussi court que le Japon (1985-2010) et légèrement plus long que la Corée du Sud — qui devrait effectuer cette transition en seulement 20 ans (2010-2030).
Par comparaison, il aura fallu 70 ans à l’Allemagne (1950-2020) et il faudra sans doute 90 ans à la France (1945-2035) pour aboutir à ce résultat. Des réformes s’imposent pour tenter de relancer la natalité, mais aussi pour offrir des conditions de vie décentes à une population âgée en croissance rapide, et adapter l’économie à une moindre main-d’œuvre disponible et à la hausse des salaires que ceci induit, alors même que la société chinoise est devenue l’une des plus inégalitaires de la planète [2].
Des tentatives vaines de relance de la natalité
Pour faire face à ces défis, les autorités chinoises ont signé la fin de près d’un demi-siècle de contrôle strict des naissances en 2015. Tous les couples ont dès lors été autorisés à avoir un deuxième enfant et les mesures de contrôle des naissances — incitation au mariage tardif, obligation de la contraception… — ont été levées. Mais après un léger rebond en 2016 et 2017, la natalité a poursuivi sa baisse : en 2022, le nombre de naissances en Chine est passé sous le seuil symbolique des 10 millions, soit presque deux fois moins qu’en 2016 et le chiffre le plus bas jamais observé depuis que le pays procède à leur enregistrement.
Nombre de naissances annuelles (en millions)

Source : calculs de l’auteur.
Depuis 2021, les couples chinois sont pourtant encouragés à avoir trois enfants, et des réformes sont menées dans le but d’alléger les contraintes économiques et matérielles liées à l’entretien d’un enfant. Le gouvernement œuvre notamment à la réduction des dépenses d’éducation incombant aux familles, au développement des infrastructures de garde pour les enfants en bas âge, et cherche à faciliter l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, notamment pour les femmes. Le congé maternité a été allongé et les pères peuvent désormais prétendre à un congé parental pour les encourager à s’investir davantage dans la prise en charge de leurs enfants en bas âge.
Mais ces nouvelles mesures natalistes ne permettent pas de lever tous les obstacles à une remontée de la natalité, révélant ainsi les limites de l’interventionnisme politique du gouvernement chinois en matière démographique. De plus, l’autorisation d’un troisième enfant ne parviendra pas à relancer significativement la natalité à court terme, simplement parce que faire un troisième enfant suppose d’avoir préalablement fait le premier puis le deuxième ; or, en 2020, seule environ une femme d’âge fécond sur quatre avait deux enfants, limitant de fait le nombre de celles concernées par cette nouvelle possibilité. Il est enfin impossible de contrer l’effet de la chute du nombre de femmes aux âges « pic » de la reproduction (20-39 ans) sur la natalité. Conséquence conjuguée de la baisse de la fécondité et de la pratique massive d’avortement de fœtus féminins depuis les années 1990, leur nombre a diminué de 30 millions entre 2010 et 2020 (moins 14 %), contre moins 10 millions d’hommes dans cette tranche d’âge (moins 4 %).
Les jeunes désormais peu enclins à faire couple
La nouvelle politique nataliste pourrait agir sur les arbitrages économiques et familiaux qui, depuis les années 1990 et plus encore que la politique de contrôle des naissances à proprement parler, ont tiré la natalité chinoise à la baisse : coûts très élevés de la garde et de l’éducation des enfants, faible protection des femmes sur le marché du travail qui les contraint souvent à choisir entre leur carrière et avoir des enfants, perspective de devoir prendre en charge leurs parents âgés…
Elle n’aura en revanche guère de prise sur les aspirations individuelles des jeunes adultes, qui résistent de plus en plus ouvertement aux injonctions sociales de mise en couple et d’acharnement au travail [3]. L’allongement de la durée des études, notamment pour les femmes, une quête croissante d’épanouissement personnel, l’autonomisation vis-à-vis des parents en matière de décisions matrimoniales ou familiales, les coûts élevés des logements ou du mariage, et l’hésitation à s’engager — surtout depuis le durcissement de la législation sur le divorce [4] en 2021 — sont autant de raisons pour lesquelles les jeunes se détournent de plus en plus du mariage, en particulier dans les grandes villes chinoises. Une enquête de la Ligue des jeunesses communistes menée en 2021 auprès de quelque 3 000 jeunes citadins de la « génération Z » (âgés de 18 à 26 ans) révèle à quel point les mentalités sont en train de changer, vis-à-vis tant des relations amoureuses que de la mise en couple. Le mariage, de plus en plus tardif mais auquel très peu de jeunes Chinois et Chinoises dérogeaient jusqu’à présent, attire de moins en moins : un tiers des jeunes citadins interrogés ont déclaré ne pas être sûrs de vouloir se marier un jour — mais cette désaffection est surtout marquée chez les jeunes femmes (43 %, contre 19 % des jeunes hommes). Les naissances survenant presque exclusivement dans le cadre du mariage, le report continu du premier mariage (dont l’âge moyen au niveau national est passé à 29 ans pour les hommes et 28 ans pour les femmes en 2020, soit environ quatre ans de plus qu’en 2010) continuera donc de tirer la natalité à la baisse, au moins temporairement.
Les femmes en ligne de mire
Le tournant résolument nataliste pris par les autorités chinoises depuis 2021 pourrait avoir d’importantes répercussions pour les femmes, de plus en plus ouvertement enjointes à se conformer à la nouvelle norme promue par la propagande étatique en se mariant tôt et en ayant des enfants. Sous couvert de préserver leur santé, le gouvernement tente désormais de restreindre leur accès à l’avortement — dont la pratique, parfois forcée, avait constitué l’un des piliers de la politique de contrôle des naissances —, continuant ainsi de contraindre leur choix en matière de reproduction. L’allongement récent des délais de la procédure de divorce, qui vise implicitement à maintenir les couples dans le mariage, pourrait quant à lui favoriser les violences domestiques, dont les femmes sont les premières victimes.
Certes, la politique de trois enfants est assortie de mesures sociales visant à lutter contre l’inégale répartition des tâches entre hommes et femmes dans la sphère domestique, et à améliorer la protection de ces dernières dans le monde du travail. La priorité est donnée notamment à la lutte contre les discriminations des femmes à l’embauche, contre les inégalités de salaire à poste égal et contre les licenciements abusifs à la suite d’un congé de maternité. Il n’en reste pas moins que, soumises à des injonctions pouvant paraître contradictoires dans le contexte social et politique actuel de la Chine — à savoir faire plus d’enfants tout en augmentant leur présence sur le marché du travail pour limiter l’impact du déficit de main-d’œuvre sur l’économie —, la situation des femmes inquiète les militantes féministes chinoises, qui craignent de voir leurs libertés reculer, notamment leurs droits reproductifs.
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Moins 850 000 habitants en 2023 par rapport à 2022. ↑
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En 2020, les 10 % des Chinois les plus riches possédaient près de 70 % de la richesse nationale totale, soit un niveau supérieur à celui de l’Inde (64 %) et comparable à celui des États-Unis (71 %) — par comparaison, ce pourcentage était de 58 % au Japon et de 59 % en France, d’après le World Inequality Report 2022. ↑
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Voir notamment le mouvement « tangping » militant contre le surmenage au travail, qui s’est développé sur les réseaux sociaux avant d’être censuré par les autorités chinoises. ↑
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Le code civil chinois a été modifié le 1er janvier 2021 pour imposer une « période de réflexion » avant l’obtention éventuelle d’un divorce. ↑