Pourquoi les électeurs votent-ils souvent contre leurs intérêts socio-économiques ? Comment expliquer que les classes sociales défavorisées portent au pouvoir des dirigeants dont la politique renforce leur déclassement ? Par les affects, explique Eva Illouz, qui guident nos choix et, dans certains contextes, brouillent les chaînes causales pour nous amener à nier les évidences factuelles.
Sociologue et directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, Eva Illouz est spécialiste des sentiments. Déjà, dans Les Marchandises émotionnelles [1], elle s’intéressait aux liens entre émotions et consommation, dans un système capitaliste fondé sur le primat du marché. Ici, dans Les Émotions contre la démocratie, elle analyse les mécanismes par lesquels les leaders populistes transforment, par leurs récits, des expériences sociales réelles en émotions collectives. Ce faisant, ils inhibent la pensée complexe, favorisent la constitution d’une identité de groupe autour de l’identification d’un ennemi commun, minant la démocratie de l’intérieur, au risque d’en creuser le tombeau.
Dans son ouvrage, Eva Illouz se penche sur le populisme israélien, qu’elle connaît bien pour avoir vécu et enseigné à Jérusalem pendant plusieurs années. Si Israël n’est pas représentatif du reste du monde, concède-t-elle, le populisme qui s’y déploie a inspiré de nombreux dirigeants étrangers. Aussi, son analyse fournit-elle une grille d’interprétation instructive pour qui cherche à en comprendre les ressorts. Selon elle, quatre émotions constituent la matrice du populisme : la peur, le dégoût, le ressentiment et l’amour de la nation.
La peur et l’obsession sécuritaire sont, depuis l’origine, des marqueurs de la nation israélienne. Selon l’auteur, en effet, l’histoire juive et la Shoah, « envisagés comme autant d’éléments d’une même chaîne hist...