Historien de formation, Thomas Gomart est convaincu qu’une stratégie ne peut se concevoir sans une fine analyse des systèmes de pensée de l’adversaire. Or, selon lui, la France, reste trop autocentrée dans son travail prospectif, qu’il qualifie de « hors sol ». Ainsi, si elle n’a pas anticipé la guerre en Ukraine, c’est essentiellement par méconnaissance des ambitions, des intérêts et de l’idéologie de la Russie et de son dirigeant, tandis que, dès mars 2021, la Grande-Bretagne identifiait Moscou comme principale menace. Plus généralement, centrée sur ses propres attributs de puissance, la France commettrait des erreurs d’analyse en omettant d’inscrire son champ des possibles dans celui des puissances adverses.
Aussi, dans Les Ambitions inavouées, le directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI) propose-t-il une démarche inverse : étudier les forces, les faiblesses et les ambitions stratégiques des neuf principales puissances auxquelles la France est confrontée — la Russie, la Chine, l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Inde, la Turquie, l’Arabie Saoudite, l’Iran [1] — pour en tirer les enseignements nécessaires à l’élaboration d’une « grande stratégie ».
De son tour d’horizon ressortent quelques idées-forces. À commencer par le poids de l’Histoire : complexe obsidional de la Russie et rêve d’un retour à la période impériale et soviétique ; nostalgie de la grandeur ottomane et syndrome de Sèvres [2] pour la Turquie ; « proscription » de la géopolitique par l’Allemagne depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et sentiment de culpabilité à l’égard des Russes ; obsession chinoise de recouvrer son statut de grande puissance, après un déclin initié par les traités inégaux au début du XIXe siècle ; ou encore, moins connu, tradition de non-alignement indienne inspirée par le traité de politique étrangère de Kautilya, datant du IVe siècle avant J.C, lequel préconise le double jeu plutôt que l’alliance.
Deuxième idée-force : une géopolitique de l’énergie, déterminante dans un contexte de réchauffement climatique. En effet, si la Russie, les États-Unis, l’Iran et l’Arabie Saoudite, producteurs d’énergies fossiles, ont pour priorité la défense des prix de l’énergie, la vente de leur production (on pense à l’accord lÃ...