Depuis 2016, Matthieu Lépine, professeur d’histoire-géographie dans un collège de la banlieue parisienne, recense les accidents du travail qui font l’objet d’un signalement dans la presse quotidienne régionale. Depuis 2019, ce recensement est devenu quotidien et public à travers ses comptes Twitter et Facebook. Il ne s’agit évidemment là que de la partie la plus visible des plus de 500 000 accidents du travail déclarés tous les ans en France, puisque ce recensement porte le plus souvent sur des accidents mortels.
Dans son livre L’Hécatombe invisible, l’auteur donne à voir l’aspect humain, la douleur et la détresse des familles des victimes, leur souffrance face à une organisation du travail déficiente qui a conduit à l’accident, leur incompréhension face aux lenteurs de la justice et, pire, aux stratégies de défense de certains employeurs prêts à tout pour se dédouaner et faire reposer la faute sur la victime elle-même. Une galerie de photographies d’une quinzaine de victimes, apprentis, stagiaires, intérimaires, travailleurs du BTP (bâtiment-travaux publics), figurant à la fin du livre, et les témoignages de certaines familles viennent encore renforcer l’émotion que tout lecteur ressentira à la lecture de ce livre.
Mais l’ouvrage ne se résume pas, loin s’en faut, à une énumération d’accidents. L’auteur replace ces morts dans leur contexte :
— celui des risques professionnels en France et de leur prévention ;
— celui de l’invisibilisation politique et médiatique de ces accidents.
Ces morts au travail sont pour la plupart des hommes, souvent jeunes. Sans surprise, ce sont des ouvriers du BTP ou de l’industrie, des secteurs dans lesquels les risques mécaniques ou de chute sont particulièrement importants. Machines non conformes ou dont les sécurités ont été neutralisées pour pouvoir tenir les cadences imposées, pression temporelle (et économique) pour la réalisation des tâches au détriment de la mise en place ou du respect d’organisations du travail sûres, carence de l’encadrement parfois insuffisamment formé lui-même, responsabilités excessives confiées à des travailleurs débutants sont autant de cause...