Dans un article paru le 30 mars 2023, l’IFRI (Institut français des relations internationales) revient sur les principales techniques de projections prospectives utilisées par les armées américaine et française. Wargames, serious games, red teaming sont des concepts qui ont le vent en poupe depuis quelques années. En France, on pense bien entendu aux travaux de la Red Team du ministère des Armées. Et dernièrement, en septembre 2022, le New York Times révélait que l’offensive réussie des Ukrainiens sur Kharkiv avait été préparée par une série de wargames menés à l’été.
Les deux autrices de cet article, Héloïse Fayet et Amélie Ferey, reviennent dans un premier temps sur les raisons de l’engouement pour ces pratiques. Ces dernières permettent d’immerger les participants dans une situation donnée afin de prendre conscience d’impensés stratégiques et tactiques, et d’identifier leurs propres vulnérabilités en se mettant à la place de l’ennemi. Les autrices citent également le sociologue allemand Ulrich Beck, qui explique que les sociétés modernes présentent une aversion au risque de plus en plus grande et sont avides de prévisions, alors que les technologies et la complexité des systèmes accroissent les risques. Ainsi, les attentes des responsables politiques vis-à-vis des travaux d’anticipation sont de plus en plus élevées en raison du coût politique de l’incapacité à prévoir.
Les deux autrices passent en revue les différentes méthodes utilisées en France et aux États-Unis, qui ont pour objectif commun de « penser l’environnement stratégique futur en évitant les angles morts et notamment les évolutions en rupture des tendances passées observables ». Toutes ces méthodes recourent à l’imaginaire (jeu, scénarios, fictions…) et permettent aux participants, notamment dans un milieu hautement hiérarchique comme le milieu militaire, de se projeter de manière plus libre en évitant les biais cognitifs et en particulier :
- Le biais de statu quo, qui désigne la tendance à aborder négativement le changement.
- Le biais de croyance, qui désigne la tendance à écarter les faits entrant en contradiction avec des valeurs ou des aspirations.
- Le biais d’impact, ou la tendance à survaloriser les scénarios ayant les conséquences les plus structurantes.
- Le biais de données, c’est la théorie du cygne noir de Nicholas Taleb, qui met en lumière la façon dont la prise de décision peut minimiser un événement ayant peu de chance de survenir. Un cygne noir comporte trois critères : l’événement est peu probable, il a des conséquences majeures et il est rationalisé rétrospectivement comme s’il avait pu être anticipé.
Les deux autrices concluent leur article par une série de recommandations visant à renforcer la prospective au sein du ministère des Armées en France. Elles mentionnent trois grands axes : la professionnalisation de la filière prospective, la structuration des travaux sur une échelle allant de deux à dix ans et l’intégration dans des réseaux internationaux de prospective, ainsi que la diversification des formats proposés (notes, rapports, serious games, etc.).