Dans cette analyse publiée par l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) pour le ministère français des Armées, les auteurs ont commencé par construire leur propre indice climat-conflit, en croisant deux indices complexes basés eux-mêmes sur de nombreux indicateurs : le Notre Dame Global Adaptation Index (de l’université américaine de Notre Dame), qui mesure la résilience des pays vis-à-vis des changements climatiques [1], et le Global Peace Index de l’Institute for Economic and Peace (un think-tank australien), qui propose un classement des pays du monde selon leur degré de pacifisme.
La carte qui en résulte (ci-dessous) permet d’observer à un instant t l’addition des risques de conflits et la vulnérabilité aux changements climatiques.
Les foyers de conflit à l’épreuve des changements climatiques dans le monde

Source : Changements climatiques et foyers de conflits dans le monde, op. cit., p. 8.
Le rapport propose également d’autres sources institutionnelles d’indicateurs complexes « climat » ou « conflit » qui pourraient s’avérer utiles pour compléter cette représentation. Puis il analyse les conséquences du changement climatique sur les foyers de conflit dans quatre régions d’intérêt pour les forces armées françaises, soit parce que des capacités militaires y sont présentes, soit parce que des territoires français peuvent être affectés par ces risques : l’Afrique (de l’Ouest, centrale et de l’Est), le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA), l’Asie du Sud-Est et le Pacifique Ouest, et l’Amérique latine. Après une analyse des risques dans chaque région, un focus est proposé sur un pays de la région : le Sénégal, le Maroc, les Philippines et la Guyane française.
Les analyses régionales montrent que partout, des tensions interétatiques sont à anticiper notamment au regard des ressources fluviales. De même, des déplacements de population internes et / ou transfrontaliers sont probables, accentuant la pression sur les ressources dans les villes, partout sauf en Amérique latine. Sont pointés aussi des risques spécifiques à chaque région. En Afrique, une des régions les plus exposées, les risques de conflits mis en avant sont principalement : les conflits agropastoraux et entre pêcheurs, les effets indésirables des politiques d’atténuation (accaparement de terres pour les biocarburants au Sénégal ou pour extraire les métaux nécessaires à la transition énergétique), la corruption des élites et le recrutement facilité de groupes terroristes. Dans la région MENA, ce sont davantage les risques liés à l’insécurité alimentaire, à la compétition pour l’accès à l’eau, et à la plus grande légitimité vis-à-vis de la population de groupes armés non étatiques qui sont mis en avant. En Asie du Sud et Pacifique Ouest, les tensions interétatiques liées à des revendications territoriales en mer de Chine et des tensions entre groupes ethniques (intra ou interétatiques), avec renforcement de groupes armés non étatiques en cas d’insécurité alimentaire, viennent s’ajouter aux pertes d’habitabilité dans cette région densément peuplée, touchée par l’élévation du niveau de la mer. Enfin, bien que l’Amérique latine soit la zone, parmi celles étudiées, qui présente le plus faible risque d’exacerbation des conflits en raison du changement climatique, la présence de groupes armés non étatiques, favorisée par l’accaparement des terres agricoles par l’industrie (agricole ou extractive) ou un régime foncier inégalitaire, sont des facteurs de conflit croissants. Même les ressources hydriques sont localement des causes de tensions dans cette région globalement mieux dotée que les autres.
Dans chaque région, un scénario de conflit que le changement climatique rend plus probable est proposé à un horizon 2050 :
- En Afrique, il s’agirait d’un conflit entre l’Éthiopie d’une part, et l’Égypte et le Soudan d’autre part, lié à l’accaparement des eaux du Nil par le grand barrage de la Renaissance construit par l’Éthiopie, et à la volonté de ce pays de construire des canaux supplémentaires pour irriguer ses propres terres.
- Dans la région MENA, la baisse des précipitations réduit le débit du Jourdain et les nappes phréatiques sont asséchées, tant en Israël qu’en Jordanie, provoquant une situation d’insécurité alimentaire dans ces deux pays. Le conflit israélo-palestinien est exacerbé par l’accaparement de l’eau par Israël. Les forces françaises, seule force occidentale présente dans la région, à la frontière israélo-libanaise, sont priées de rentrer chez elles à la demande des pays de la région, et en particulier d’Israël — arguant que cette présence d’un pays historiquement responsable du changement climatique envenime les conflits locaux.
- Dans la zone Pacifique, le scénario proposé est celui d’une dépression tropicale qui inonde la Nouvelle-Calédonie et se transforme en cyclone en Polynésie française qui est dévastée. L’État français débloque une aide d’urgence mais ne peut intervenir sur place en moins de 48 heures compte tenu de la distance. Aussi c’est la Chine qui intervient en urgence grâce à ses forces de projection dans la région. Pour les forces indépendantistes locales, appuyées par les médias chinois, c’est la dépendance à la France qui est à l’origine de l’impréparation aux événements climatiques extrêmes et aux dégâts humanitaires. En conséquence, la France perd une part de son influence en Polynésie française.
- En Amérique latine, une sècheresse extrême frappe l’Amazonie, où 80 % de la population n’a plus accès à une source d’eau sûre et saine. En réponse, l’UNASUR (Union des nations sud-américaines) convoque un sommet d’urgence sur le partage et la préservation des eaux, avec un moratoire sur la construction de barrages dans la région, puis la 55e conférence des parties (COP-55) met à l’agenda la protection de la forêt, dont 40 % de la surface a déjà disparu. Mais les négociations de la COP sont bloquées par des pays riverains, soutenus par la Chine, pour protéger leur développement économique. C’est la société civile qui réagit face à ces lenteurs et blocages institutionnels.
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Un autre site présente cet indice et propose également nombre de données en accès libre. ↑