L’année 2017 a mis en ébullition la plupart des observateurs de la vie politique à travers le monde dit développé : arrivée au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis (et contexte particulier de son élection) ; montée en puissance du Front national en France, contrée par l’essor d’un parti (La République en marche) et d’un homme (Emmanuel Macron) que personne n’avait réellement venu venir ; à quoi s’ajoutent diverses crises politiques et économiques touchant aussi des pays émergents (Brésil, Venezuela…). De plus en plus, les systèmes et les élites en place sont l’objet d’un discrédit, voire d’un rejet de la part des citoyens qu’ils gouvernent.
C’est la raison pour laquelle cette nouvelle édition de L’État du monde s’est mise « en quête d’alternatives ». Elle s’ouvre par une première partie consacrée au diagnostic, « Les facteurs de blocage », allant du « triomphe de la pensée unique » au « conservatisme des classes politiques », en passant par l’essor du populisme, le grippage des grandes institutions multilatérales, les ratés des tentatives de structuration régionale, l’opposition aux réformes de certains lobbies et de certaines multinationales, et bien évidemment la diffusion de la corruption à travers le monde.
Suit une deuxième partie présentant « de premières expériences fragiles » d’alternatives, principalement politiques – qui ne sont pas toutes là pour faire rêver le lecteur. Après une contribution montrant le poids du communisme dans la construction des alternatives contemporaines, plusieurs analystes se penchent sur les expériences alternatives engagées dans certains pays ou régions : les suites des printemps arabes ; la place à part de la Chine ; les expériences latino-américaines ; le cas Donald Trump ; Cuba ; la « face cachée » de la prospérité économique allemande… Et d’autres examinent de façon un peu plus transversale certains mouvements alternatifs : le néonationalisme (au Nord comme au Sud) ; les droites radicales populistes en Europe, mais aussi la possible « marée populiste » illustrée par les cas français et états-unien.
C’est la troisième partie, « Des perspectives nouvelles ? », qui regarde le plus vers l’avenir : que sont réellement les alternatives et quelles sont leurs chances de développement ? Le champ politique domine ici, dans une perspective soit strictement idéologique (vers une autre social-démocratie ? ; la nouvelle gauche radicale ; le populisme de gauche, le mouvement altermondialiste en panne ?), soit plus internationale (« réformer l’architecture internationale » ; choisir [ou non] son camp par rapport au nouvel ordre mondial), mais aussi au travers d’un article portant sur les alternatives au système électoral en démocratie (prise en compte accrue des votes non majoritaires, rôle de l’expertise et de la contre-expertise ; chambre parlementaire élue par, ou composée de citoyens tirés au sort ; démocratie directe ou « liquide » [exemple des partis pirates, Podemos…]). Mais des regards plus sectoriels sont aussi proposés : « quelles alternatives écologiques agricoles ? », « quelle transition énergétique ? », « qu’est-ce que l’hétérodoxie économique ? » ; ainsi qu’une contribution sur l’apport du numérique en termes économiques, mais aussi et surtout en matière de circulation de l’information et de diffusion des idées. Enfin, un article plus sociologique propose un intéressant portrait social des tenants de modes de vie alternatifs en France.
Que retenir de tout cela ? Bien des observateurs considèrent que les mouvement alternatifs qui ont repris de la vigueur au début de la décennie 2000 (Forum social mondial) sont minoritaires ou utopistes (du moins ceux qui se positionnent le plus à gauche de l’échiquier). Les alternatives populistes, nationalistes et d’extrême droite inquiètent davantage, et sans doute de plus en plus à mesure que les symptômes (objets de la première partie de l’ouvrage, mais aussi très bien illustrés par certaines illustrations du dossier cartographique central du livre) progressent dans nos sociétés désabusées (abstention, montée de l’extrême droite). Face à ce scepticisme des commentateurs et à l’aveuglement volontaire ou non des élites économiques et politiques en place, il était important de rappeler que des alternatives existent ; certaines sont clairement des repoussoirs mais d’autres sont compatibles avec le modèle démocratique. Charge à ceux qui nous gouvernent, en France, en Europe, outre-Atlantique, dans les organisations multilatérales…, de les regarder d’un peu plus près et – qui sait – de s’en inspirer pour tenter de (re)mobiliser les citoyens autour du fameux « bien commun » – dont on peine aujourd’hui à percevoir clairement les contours.