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Conséquences économiques des pandémies : quelles leçons du passé ?

À la date de rédaction de cet article (29 juin 2020), le Covid-19 a déjà touché 10 millions de personnes et causé 500 000 décès selon les chiffres officiels. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les mois à venir devraient voir le nombre de victimes s’accroître. Cette pandémie s’inscrirait donc à la suite des plus grandes épidémies connues par l’humanité, comme l’avaient annoncé Neil Ferguson et son équipe dans leur étude du 17 mars 2020. Ils y annonçaient l’inexorable : sans confinement, le Royaume-Uni compterait ses morts par centaines de milliers. La forte contagiosité du SARS-CoV-2 a fait craindre la saturation des services hospitaliers et une hausse dramatique de la mortalité, conduisant alors une majorité de pays à restreindre sévèrement la vie économique et sociale de leur population. Dans un mouvement unanime, plusieurs gouvernements ont ainsi adopté la même stratégie, amenant plus de la moitié de la population mondiale à subir un confinement total ou partiel courant avril 2020.

Fin juin 2020, sous grande pression économique et sociale, l’Europe a finalement décidé de lever la plupart des mesures dites « non pharmaceutiques » pour contenir l’épidémie. Aux États-Unis ou au Brésil, pourtant toujours durement touchés, les autorités refusent de ralentir les activités normales, par peur de voir s’effondrer un système déjà fragile. Si certains pays ou villes remettent en place des restrictions sanitaires face au spectre d’une seconde vague, comme le Portugal, l’Allemagne ou Pékin au début de l’été, il semblerait que la tendance soit plutôt au « vivre et laisser mourir ». Gouvernants et citoyens préfèreraient l’équilibre psychosocial à la paralysie de tous pour la survie du plus grand nombre. Ainsi, le dilemme entre protection des plus vulnérables d’une part, et protection des activités économiques et sociales d’autre part reste entier.

Cherchant à le trancher, deux équipes d’économistes se sont penchées sur les épidémies passées, espérant en tirer des indications sur les conséquences économiques possibles d’une pandémie mondiale. L’article « Longer-run Economic Consequences of Pandemics » étudie notamment l’histoire des pandémies et des variations des taux d’intérêt qu’elles auraient causées depuis le XIVe siècle. Leur conclusion est sans appel : une pandémie majeure provoque une baisse soutenue des taux, jusqu’à 40 ans après la première vague de la maladie.

Réponse spécifique de chaque pays en matière de taux d’intérêt réel après une pandémie

Toutefois, les situations des pays apparaissent très hétérogènes comme le démontrent les graphiques comparatifs ci-dessus. Ces variations s’expliquent, entre autres, par les spécificités de chaque pays en termes d’exposition à la pandémie bien sûr (taux de pénétration du virus et durée d’exposition), la taille de la population active ou encore le taux d’industrialisation nationale. Car les conflits produisent un effet fortement positif sur les taux d’intérêt par l’activité économique qu’ils requièrent pendant l’effort de guerre et après pour la reconstruction du pays. Une pandémie, en revanche, diminuera durablement la disponibilité de la main-d’œuvre et la consommation des ménages, sans que le capital physique des entreprises ne soit détruit. Ses effets sont donc plus durs pour l’économie qu’un affrontement armé.

Les auteurs de l’article « Pandemics Depress the Economy, Public Health Interventions Do Not: Evidence from the 1918 Flu » en arrivent à la même conclusion, en s’appuyant, eux aussi, sur l’analyse historique d’une épidémie passée : celle de la grippe espagnole. Mais ils doublent cette observation d’un second constat : les mesures sanitaires non pharmaceutiques réduisent efficacement le nombre de morts, sans pour autant aggraver la situation économique des villes ou régions ayant mis en place les stratégies les plus drastiques. Plus encore, en traitant la cause de la récession économique, inéluctable si tout un pan de la population se trouve hors d’état de travailler ou de consommer, les mesures sanitaires, de confinement notamment, permettent d’éradiquer plus rapidement le virus et donc de favoriser un retour aux activités normales plus rapide qu’une stratégie de laisser-faire. Enfin, la réduction de la contagiosité permet de ne pas avoir de surcoûts liés à la croissance exponentielle du nombre de malades.

Si l’on en croit ces deux articles, les conséquences économiques d’une épidémie sont inévitables, mais elles seront identiques, voire diminuées, en adoptant des mesures sanitaires fortement contraignantes. La stratégie du « vivre et laisser mourir » ne serait donc pas, dans ce cas, la plus rationnelle.

Toutefois, deux bémols, et non des moindres, subsistent à la lecture de ces études. D’une part, les données agrégées sont partielles, hétérogènes et masquent sans aucun doute une quantité de phénomènes corrélés qui pourraient eux aussi expliquer de fortes variations économiques. D’autre part, l’épidémie de Covid-19 prend place dans des sociétés bien différentes de celles qui ont connu la peste noire ou la grippe espagnole. Le virus SARS-CoV-2 dispose lui-même de spécificités qui le distinguent des virus des précédentes épidémies.

Dans un monde fortement globalisé, dans des pays européens et américains vieillissants, où une grande part de la population est en mauvaise santé, que dire des impacts à moyen et long termes d’un virus qui paraît principalement tuer les plus âgés et les plus faibles ? Comment mesurer les fractures économiques mais aussi sociales, générationnelles et politiques réelles que ce coronavirus pourra provoquer dans des sociétés déjà sur le fil du rasoir ? Peut-on ici fonctionner par analogie avec le passé ? Ou faut-il réinventer nos modèles de gestion de risques de manière plus souple et réactive, au fur et à mesure que nous en apprendrons sur le virus, mais aussi à la lumière des crises environnementales à venir ?

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